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DU BUDDHISME INDIEN.


présence du roi Açôka. En voyant Kunâla qui était privé de ses yeux, dont le corps, brûlé par l’ardeur du soleil et par le vent, était couvert d’un vêtement misérable que l’eau avait terni pendant son voyage[1], le roi, auquel était inconnu le crime, contempla son fils à plusieurs reprises sans pouvoir le reconnaître, et ne voyant devant ses yeux qu’une forme humaine, il dit : Es-tu Kunâla ? Oui, répondit le prince, je suis Kunâla. À ces mots, le roi s’évanouit et tomba par terre. C’est ce qu’exprime cette stance :

En voyant le visage de Kunâla à qui les yeux avaient été arrachés, le roi Açôka, déchiré par la douleur, tomba par terre, consumé par le feu du chagrin à la vue du malheur de son fils.

On jeta au roi de l’eau, on le releva, et on le replaça sur son siége. Quand il eut un peu repris ses sens, il serra son fils entre ses bras. C’est ce que dit cette stance :

Le roi, au bout de quelques instants, étant revenu à lui, jeta les bras autour du cou de son fils ; et caressant à plusieurs reprises le visage de Kunâla, il fit entendre de nombreuses plaintes, la voix entrecoupée par les sanglots.

Autrefois, à la vue de ces yeux semblables, à ceux du Kunâla, j’ai appelé mon fils Kunâla ; aujourd’hui que ces yeux sont éteints, comment pourrais-je continuer à lui donner ce nom ?

Puis il lui dit : Raconte-moi, raconte-moi, mon cher fils, comment ce visage aux beaux yeux a été privé de sa lumière et est devenu semblable au ciel à qui la chute de la lune aurait enlevé sa splendeur.

C’est un cœur impitoyable, ô mon fils, que le méchant qui, poussé par sa haine contre l’homme bon, étranger à tout sentiment de haine, a détruit les yeux du meilleur des êtres, de l’image même du Solitaire, acte cruel qui est pour moi une source de maux.

Parle-moi vite, ô toi dont le visage est si beau. Consumé par le chagrin que me cause la perte de tes yeux, mon corps périt, semblable à une forêt que dévore la foudre lancée par les Nâgas.

Alors Kunâla s’étant jeté aux pieds de son père, lui parla ainsi :

Ô roi, il ne faut pas ainsi se lamenter à cause d’un événement qui est passé ; est-ce que tu n’as pas entendu citer les paroles du Solitaire, qui a dit que les Djinas eux-mêmes, pas plus que les Pratyêka Buddhas, ne peuvent échapper à l’influence inévitable des œuvres ?

  1. Nos deux manuscrits sont en cet endroit fort altérés ; je traduis par conjecture ce détail d’ailleurs peu important.