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INTRODUCTION À L’HISTOIRE


Le prince leur donna la coiffure qui couvrait sa tête, et leur dit : Faites votre devoir pour prix de ce présent ; [mais ils refusèrent en disant :] Cette action doit nécessairement entraîner des malheurs. Alors il se présenta un homme d’un extérieur difforme, et couvert de dix-huit taches d’une couleur repoussante, qui s’offrit pour arracher les yeux au prince. On le conduisit donc auprès de Kunâla. En ce moment, les paroles des Sthaviras se représentèrent à l’esprit du jeune homme ; le prince, en se les rappelant, prononça ces stances :

C’est parce qu’ils prévoyaient ce malheur que ces sages qui connaissent la vérité ont dit : Vois, ce monde tout entier est périssable ; personne ne reste dans une situation permanente.

Oui, ce furent pour moi des amis vertueux qui recherchaient mon avantage et voulaient mon bonheur, que ces sages magnanimes, exempts de passions, par qui m’a été enseignée cette loi.

Quand je considère la fragilité de toutes choses, et que je réfléchis aux conseils de mes maîtres, je ne tremble plus, ami, à l’idée de ce supplice ; car je sais que mes yeux sont quelque chose de périssable.

Qu’on me les arrache ou qu’on me les conserve, selon ce que commande le roi ; j’ai retiré de mes yeux ce qu’ils pouvaient me donner de meilleur, puisque j’ai vu que les objets sont périssables.

Puis s’adressant à cet homme : Allons, dit-il, arrache d’abord un œil, et mets-le-moi dans la main. Le bourreau se mit en devoir d’exécuter son office ; et en ce moment des milliers d’hommes poussèrent des cris lamentables : Ah ! malheur !

La voilà qui tombe du ciel, cette lune à la splendeur pure ; un beau lotus est arraché de la touffe des blancs nymphæas.

Pendant que cette foule de peuple faisait entendre ces lamentations, l’œil de Kunâla lui fut arraché, et il le reçut dans sa main. En le prenant, le prince dit :

Pourquoi donc ne vois-tu plus les formes comme tu faisais tout à l’heure, grossier globe de chair ? Combien ils s’abusent et qu’ils sont blâmables, les insensés qui s’attachent à toi en disant : C’est moi !

Ceux qui, toujours attentifs, savent reconnaître en toi un organe qui ressemble à une boule, qu’on ne peut saisir, qui est pur, mais dépendant, ceux-là seront à l’abri du malheur.

Pendant que le prince réfléchissait ainsi sur l’instabilité de tous les êtres, il acquit la récompense de l’état de Çrôtà âpatti à la vue de la foule du peuple. Alors Kunâla, qui voyait les vérités, dit à l’exécuteur : Au second œil maintenant ;