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DU BUDDHISME INDIEN.

Quand mon corps, abandonné comme les fragments de la canne à sucre, dormira sur la terre, il sera incapable de se donner de la peine pour saluer, se lever, et réunir les mains en signe de respect.

Quelle action vertueuse serais-je alors en état d’exécuter avec ce corps ? Aussi n’est-il pas convenable que j’attache aucun prix à un corps dont le terme est au cimetière ; il ne vaut pas plus qu’une maison incendiée, pas plus qu’un trésor de pierreries perdu dans les eaux.

Ceux qui, dans ce corps fait pour périr, sont incapables de distinguer ce qui a de la valeur, ceux-là ne reconnaissant pas l’essentiel, ignorent ce qui a du prix et ce qui n’en a pas ; ces insensés tombent en défaillance au moment où ils entrent dans la gueule du monstre de la mort[1].

Quand on a retiré d’un vase ce qu’il contenait de meilleur, le lait caillé, le beurre fondu, le beurre frais, le lait ou le lait acide, et qu’il n’y reste plus que de l’écume, si ce vase vient à se briser, il n’y a pas lieu à beaucoup se plaindre. Il en est de même du corps ; si les bonnes œuvres, qui lui donnent du prix, en sont enlevées, il ne faut pas se lamenter lorsqu’il vient à périr.

Mais lorsqu’en ce monde la mort brise violemment le vase du corps de ces hommes orgueilleux qui se détournent des bonnes œuvres, alors le feu du chagrin consume leur cœur, comme quand on brise un vase de lait caillé, dont le meilleur est ainsi entièrement perdu.

Ne t’oppose donc pas, seigneur, à ce que je m’incline devant la personne [des Religieux] ; car celui qui, sans examen, se dit : Je suis le plus noble, est enveloppé des ténèbres de l’erreur.

Mais celui qui examine le corps au flambeau des discours du Sage qui possède les dix forces, celui-là est un sage qui ne voit pas de différence entre le corps d’un prince et celui d’un esclave.

La peau, la chair, les os, la tête, le foie et les autres organes sont les mêmes chez tous les hommes ; les ornements seuls et les parures font la supériorité d’un corps sur un autre.

Mais l’essentiel en ce monde, c’est ce qui peut se trouver dans un corps vil, et que les sages ont du mérite à saluer et à honorer.

« Le roi Açôka ayant ainsi reconnu que le corps avait moins de valeur que des coquilles d’œufs pleines de boules de sable faites avec des larmes de serpent, et s’étant persuadé que les avantages résultant des respects témoignés [aux Religieux] l’emportaient sur une multitude de grandes terres subsistantes avec leur Sumêru pendant de nombreux Kalpas, le roi Açôka, dis-je, voulut se

  1. Le texte dit « le Makara de la mort ; » le Makara est ce poisson fabuleux dont le dauphin a peut-être suggéré l’idée aux Indiens.