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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

même à des Auditeurs pleins de foi des souvenirs de sa personne mortelle, bien plus grossiers encore que les cendres de son bûcher ? Si Çâkya donnait à deux marchands une poignée de ses cheveux, à d’autres les rognures de ses ongles, pourquoi n’aurait-il pas enjoint qu’on rendît des honneurs religieux à ce qui devait rester de ses os[1] ? L’objection a certainement quelque valeur ; mais sans recourir à ce procédé de critique facile, qui consisterait à nier ces distributions bizarres dont le récit est d’ordinaire mêlé de circonstances merveilleuses, il me paraît qu’on en peut admettre, si l’on veut, la réalité[2], et qu’on n’est pas obligé pour cela d’en tirer la conséquence que nous opposerait la logique d’un Buddhiste fervent. Qui ne sait de quoi le respect religieux est capable, et qui ne comprend pas que des adorateurs passionnés aient pu d’eux-mêmes ramasser les cheveux d’un maître presque divin ? Les Buddhistes du Tibet sont allés dans cette voie aussi loin que cela était possible ; et le stupide respect qu’ils ont pour leurs Lamas les a prosternés devant les plus dégoûtantes reliques qu’ait inventées la superstition humaine. Dira-t-on que le pur et chaste Çâkyamuni a inventé ce culte ignoble, et n’est-ce pas plutôt par une suite de pitoyables analogies que les Tibétains sont descendus aussi bas ? Les légendes qui rapportent que les disciples de Çâkyamuni recueillaient ses cheveux et des débris plus impurs encore s’expliquent donc d’elles-mêmes par cette ferveur d’adoration qui n’a jamais manqué dans l’Inde. Ou les faits sont vrais, et l’on n’en peut conclure que Çâkyamuni les ait provoqués, encore moins qu’il s’en soit servi pour recommander le culte de ses reliques ;

  1. La légende des deux marchands auxquels Çâkya donna huit de ses cheveux est nationale chez les Barmans ; elle est racontée en détail dans une note du Rév. Hough sur l’inscription de la grande cloche de Rangoun. Ces marchands étaient du Pégu, et c’est miraculeusement qu’ils furent avertis que Çâkya était parvenu à l’état de Buddha parfait. (Asiat. Res., t. XVI, p. 282.) Nous les retrouvons plus bas, dans la légende d’Açôka. Rien n’est au reste plus ordinaire, dans les légendes, que le récit de pareils cadeaux ; voyez entre autres l’histoire de Purṇa. (Ci-dessus, p. 236.) Un passage de la vie de Çâkyamuni raconte que le sage fit présent à un homme de la tribu des Çâkyas, in an illusory manner, dit Csoma, de quelques cheveux de sa tête, de rognures de ses ongles et d’une de ses dents. (Asiat. Res., t. XX, p. 88.)
  2. Quoique je ne fasse pas difficulté de reconnaître que du temps même de Çâkya, des disciples fanatiques aient pu recueillir respectueusement les cheveux qui tombaient de sa tête, je ne puis cependant partager l’espérance que semble concevoir M. de Humboldt, quand après avoir décrit les boîtes dans lesquelles sont enfermées ces reliques, et qui sont elles-mêmes enterrées sous d’énormes Stûpas, il s’exprime ainsi : « On voit clairement par là qu’en ce sens, il ne serait « pas impossible que sous la masse gigantesque du [Stûpa] Shoe Da gon, on retrouvât les huit « véritables cheveux de Gâutama, qui, suivant la tradition, y sont enterrés. » (Ueber die Kawi-Sprache, t. I, p. 161. Conf. Crawfurd, Embassy to Ava, p. 348.) Je ne crois pas qu’après avoir lu le récit du merveilleux voyage de ces inappréciables cheveux depuis l’Inde jusqu’au Pégu, il soit possible à personne d’y rien voir de réellement historique. Autant vaudrait croire à l’existence du bâton, du pot et du vêtement de tel des prédécesseurs de Çâkya, que les Péguans prétendent aussi posséder.