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DU BUDDHISME INDIEN.

comment les Brâhmanes auraient permis que l’on vénérât des restes aussi misérables à leurs yeux que les os d’un cadavre consumé sur le bûcher. On sait l’horreur invincible qu’ils éprouvent pour tout ce qui a eu vie, et les soins qu’ils prennent de se purifier, quand ils rencontrent un de ces objets dont la vue seule est pour eux une souillure. L’idée de conserver des reliques et de les honorer d’un culte spécial ne me paraît donc pas une conception brâhmanique[1] ; et quand les Buddhistes nous apprennent que ce culte a été rendu aux restes des monarques souverains, et par imitation à ceux du Buddha, ils entendent vraisemblablement parler, non de tous les monarques en général, mais de ceux qui ont partagé leur croyance.

Les difficultés que je viens d’opposer au récit des légendaires tombent d’elles-mêmes si, au lieu d’attribuer à Çâkya l’idée de faire honorer ses reliques, on la laisse sur le compte de ses premiers disciples, auxquels elle fut inspirée sans aucun doute par un sentiment tout humain de respect et de regret[2]. Pour rendre à Çâkya des honneurs dignes d’un roi, ses disciples n’avaient qu’à se rappeler que leur Maître avait été un homme dont il ne restait plus rien désormais que ces faibles débris. Çâkya, pour eux, était entré dans l’anéantissement complet (parinirvrĭta) ; de quelque manière qu’on entendît cet anéantissement, c’en était fait de sa personne mortelle, puisqu’elle ne devait plus revenir en ce monde. C’était donc se montrer profondément pénétré des idées de Çâkya que de recueillir pieusement tout ce qui restait de lui, et le culte de ses reliques devait résulter naturellement de la conviction où l’on était que la mort anéantit l’homme tout entier.

    « quelconque entre le culte du Dagob et celui du Lingam, c’est ce qu’aucune raison ne saurait établir. Ces deux symboles sont différents dans leur origine comme dans leur objet. Le Dagob est la tombe ou le cénotaphe d’un homme divin : c’est le lieu où repose une relique. Le Lingam est le symbole de l’organe de la génération, vénéré en qualité de pouvoir producteur de la nature. L’un est toujours supposé se rapporter à un Buddha ou à un homme devenu saint ; l’autre signifie l’énergie sans bornes du pouvoir divin agissant sur l’univers extérieur. L’œil le moins exercé ne peut se méprendre sur leurs formes respectives. » (ibid., p. 516.) Si l’on se rappelle que ces excellentes observations ont déjà plus de vingt-trois ans de date, on n’en devra qu’admirer davantage la pénétration et le bon sens de l’homme habile auquel elles sont dues.

  1. Il y a déjà longtemps que dans ses observations comparatives sur le Buddhisme et le Brâhmanisme, Erskine avait dit que les Buddhistes vénèrent les reliques de leurs Buddhas et de leurs saints, mais qu’aux yeux des Brâhmanes, les restes mortels d’un homme sont quelque chose d’impur. (Transact. lit. Soc. of Bombay, t. III, p. 506.) L’existence d’anciens tumulus purement indiens, c’est-à-dire brâhmaniques, n’est pas contradictoire à cette assertion ; car rien ne dit qu’on leur rendît un culte ; et c’est précisément le culte qui fait des Stupas buddhiques des monuments d’un caractère tout spécial.
  2. C’est ce que dit positivement le récit de la mort de Çâkya, traduit du tibétain par Csoma de Cörös ; suivant ce récit, c’est Ânanda qui conseilla aux Mallas de Kuçinagarî de rendre à la dépouille mortelle de Çâkya les honneurs dus à celle d’un monarque souverain. (Asiat. Res., t. XX, p. 312.)