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DU BUDDHISME INDIEN.


le plus puissamment aux yeux du peuple en faveur du Buddha. Cette importance accordée à la beauté humaine s’explique en partie par ce que je viens de dire des représentations de Çâkya, et elle nous fait pénétrer fort avant dans l’esprit du Buddhisme primitif. L’image du Buddha n’a pas, comme celle de Çiva et de Vichnu, un nombre exagéré d’attributs ; elle ne se multiplie pas à l’aide de ce luxe d’incarnations qui du même Dieu produit une infinité de personnes toutes différentes les unes des autres[1]. C’est simplement celle d’un homme assis dans l’attitude de la méditation, ou faisant le geste de l’enseignement. Cette image, sauf de très-légères différences dans la position des mains, différences qui peut-être s’évanouiraient même devant une critique attentive, est toujours la même. Les scènes seules qui l’environnent ajoutent quelquefois un luxe de décorations tout extérieur à la simplicité un peu nue de l’objet principal. Or là où tout est si humain, la légende est excusable de supposer l’idéal de la beauté humaine ; et il est bien curieux de voir avec quel scrupule elle s’est arrêtée sur la limite qui sépare l’homme du Dieu, surtout quand on se rappelle combien peu elle hésite à la franchir, chaque fois qu’il est question de la science et du pouvoir du Buddha.

Il faut néanmoins tenir compte ici des observations que j’ai faites plus d’une fois sur les modifications qu’a dû subir le Buddhisme dans le cours des temps. Le culte a peu changé, parce que dans les religions la forme a une durée qui survit bien des siècles au fond même des croyances. Mais de nouveaux objets d’adoration se sont associés à l’image de Çâkya. Pour les temps anciens, ces objets durent être les statues des quatre Buddhas qui ont précédé Çâkyamuni, au commencement de la période actuelle. Pour les temps plus modernes, ce furent celles des cinq Dhyâni Buddhas et des Bôdhisattvas, dont M. Hodgson nous a fait connaître les représentations par des dessins exacts. Cependant, malgré quelques variantes légères dans le costume et dans la position des mains, variantes qui d’ailleurs ne portent que sur les Buddhas mythologiques de la contemplation, le type reste toujours le même, et ce type est celui d’un homme qui médite ou qui enseigne. Je suis convaincu qu’il n’y en eut jamais d’autre ; et on dirait que l’unité et l’invariabilité du principal objet d’adoration chez les

  1. Ce caractère propre aux représentations du sage honoré par les Buddhistes n’a pas échappé à Erskine, qui a su l’exposer très-nettement dans ses remarques, si dignes d’être lues, sur les religions qui ont tour à tour ou simultanément fleuri dans l’Inde. (Transact. of the lit. Soc. of Bombay, t. I, p. 202.) Dans un autre Mémoire plein des observations les plus judicieuses, il s’exprime ainsi : « Les saints des Buddhistes sont des hommes et ont une forme humaine ; les Dieux des Brâhmanes sont sans nombre ; ils ont toute espèce de forme et de figure… Le premier système présente des hommes qui sont devenus des Dieux, le second des Dieux qui se sont faits hommes. » (Ibid., t. III, p. 504.)