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DU BUDDHISME INDIEN.


classe nouvelle de Religieux mariés, institution qui eût été impossible au temps de Çâkya et de ses premiers disciples[1].

Nous sommes ici naturellement amenés à nous occuper du culte et des objets auxquels il s’adresse, ou pour parler d’une manière générale, de la pratique de la religion ; car sans cette pratique le Buddhisme serait une simple philosophie morale. C’est en ce point surtout que se vérifie l’exactitude des remarques indiquées tout à l’heure. À une religion qui a peu de dogmes, il suffit d’un culte simple ; et dans le fait, rien ne l’est plus que celui qui est imposé au peuple par la loi du Buddha. Il est sans doute utile de distinguer ici et les époques et les pays ; mais en nous en tenant au Buddhisme indien, je n’hésite pas à dire que la religion, telle qu’on la voit dans les Sûtras et dans les légendes, exprime, non moins fidèlement qu’aucune autre partie de ces livres, l’esprit véritable et le caractère primitif de la doctrine attribuée à Çâkya.

Dans l’état où nous sont parvenus les textes qui servent de base à mes recherches, il n’est pas facile de voir si Çâkyamuni s’occupa du culte et s’il en détermina les formes. Ce que nous apprennent à ce sujet les Sûtras et les légendes appartiennent en effet moins au maître qu’à ses premiers disciples ; et en lui attribuant l’institution d’une religion complète avec un culte régulier, on s’expose à commettre un grave anachronisme. Il est évident à priori que le culte devait être pour Çâkya un objet de peu d’importance ; les Sûtras nous donnent même la preuve directe qu’il mettait l’accomplissement des devoirs moraux bien au-dessus de la pratique des cérémonies religieuses. J’ai cité ailleurs un fragment où je crois voir l’expression de sa pensée véritable. « Brahmâ, s’écrie-t-il, habite les maisons où les fils vénèrent leur père et leur mère[2]. » À la vérité, Brahmâ est le Dieu des Brâhmanes, à l’autorité desquels Çâkya prétend se soustraire ; et cet axiome de morale peut passer pour une attaque dirigée contre la religion brâhmanique en particulier, et non contre toute religion en général. Si cependant on réfléchit que Çâkya ne pouvait parler que du culte qui existait de son temps, on reconnaîtra dans cette maxime

  1. Je veux parler des Vadjra âtchâryas qui ont femmes et enfants, et qui n’en sont pas moins voués à la pratique des devoirs extérieurs du Buddhisme. (Trans. of the Roy. As. Society, t. II, p. 245.) C’est à cette singulière classe de religieux qu’appartenait le Buddhiste de Lalita patan, auquel M. Hodgson dut une partie de ses premiers renseignements sur la doctrine de Çâkya. (Ibid., p. 231.) M. Hodgson est le premier qui ait bien apprécié cet ordre bizarre de prêtres, qu’il regarde avec juste raison comme une invention moderne d’un Buddhisme dégénéré. « De la décadence graduelle des institutions monastiques aujourd’hui tombées entièrement en désuétude au Népâl, est sorti le Vadjra âtchârya, qui est le seul ministre des autels, et dont le nom, les fonctions et l’existence même, non seulement ne sont pas justifiés par les écritures buddhiques, « mais encore sont en opposition directe avec leur esprit et leur tendance. » (Ibid., p. 256.)
  2. Ci-dessus, sect. II, p. 118.