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INTRODUCTION À L’HISTOIRE


Sumêru, ce roi des montagnes, serait suspendu à l’extrémité du manteau de ton maître, il ne tomberait pas ; à plus forte raison ne tomberas-tu pas toi-même.

Ce fut à l’endroit où disparaissait son maître que le novice prit la résolution de saisir le moment [de l’accompagner]. S’étant donc rendu à l’endroit où le Religieux cessait d’être visible, le novice s’y assit ; et réfléchissant qu’il allait disparaître, il saisit l’extrémité de son vêtement. Les deux Religieux se dirigèrent alors à travers le ciel, et bientôt ils furent vus par les Nâgas ; on traça deux cercles dont on nettoya l’intérieur pour qu’ils pussent s’y asseoir. Le maître fit alors cette réflexion : Pour qui donc est préparé cet autre siége ? Et aussitôt retournant la tête, il vit le novice et lui dit : Bhadra mukha, tu es donc venu aussi ? — Oui, maître, je suis venu [avec toi]. C’est bien, se dirent en eux-mêmes les Nâgas : cet Ârya possède de grandes facultés surnaturelles, il a une grande puissance ; il a le droit de se faire servir de l’ambroisie divine ; mais cet autre Religieux qui l’accompagne n’a pas ce droit-là ; * il faut donc lui servir une nourriture vulgaire *[1]. En conséquence les Nâgas donnèrent au maître de l’ambroisie divine, et au disciple une nourriture ordinaire.

Ce dernier portait le pot de son maître ; il le prit et y trouva une petite portion de nourriture. Il la mit dans sa bouche ; elle avait la saveur de la divine ambroisie. Le novice fit alors cette réflexion : Ces Nâgas sont avares : nous voilà assis deux ensemble, et ils donnent à l’un de l’ambroisie divine, et à moi des aliments vulgaires. En conséquence il se mit à prononcer la prière suivante : Si j’ai rempli les devoirs de la vie religieuse sous le bienheureux Kâçyapa, le Buddha parfaitement accompli, qui n’a pas de supérieur et qui est grandement digne d’hommages, puissé-je, par l’effet de cette racine de vertu, faire sortir par la mort un Nâga de la demeure de ses semblables, et y renaître moi-même [à sa place] ! Et aussitôt le novice se mit à répandre de l’eau de ses deux mains [pour détruire un Nâga qu’il avait désigné]. Ce dernier se sentit bientôt atteint d’une douleur à la tête, et il dit [au maître] : Ô Ârya, ce novice a conçu une méchante pensée ; détourne-le [de la mettre à exécution]. Bhadra mukha, dit l’Ârya au novice, l’existence des Nâgas est une vie de misère ; renonce à ton dessein. Mais le novice récita la stance suivante : Cette pensée s’est emparée de moi, je ne puis plus m’en détacher ; je verse, seigneur, de mes deux mains de l’eau pendant le temps que j’existe en ce monde. Quand il eut ainsi fait sortir par la mort le Nâga de la demeure de ses semblables, il y naquit de nouveau lui-

  1. La phrase renfermée entre deux étoiles est empruntée à la version tibétaine ; elle est absolument nécessaire au récit.