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DU BOUDDHISME INDIEN.

Examinons maintenant les divers termes de cette énumération ; ils désignent, comme on va le voir, divers degrés dans la hiérarchie que j’appellerai morale et scientifique des Auditeurs de Çâkya. Premièrement les quatre vérités sublimes sont les axiomes fondamentaux qui servent de base à la doctrine buddhique, savoir que la douleur existe, qu’elle est le partage de tout ce qui vient au monde, qu’il importe de s’en affranchir, enfin que c’est par la science seule qu’on peut le faire de façon à obtenir la délivrance[1]. Ceux qui comprennent ces vérités et y conforment leur conduite sont nommés Âryas ou vénérables, par opposition aux hommes ordinaires (Prĭthag djana), qui n’ont pas encore réfléchi sur ces importants sujets. On n’aurait cependant qu’une faible idée de la valeur de ce titre, si l’on n’y voyait qu’une épithète d’un sens opposé à celui d’homme vulgaire. La qualité d’Ârya me paraît, au contraire, une des plus hautes à laquelle puisse parvenir celui qui n’est pas Buddha ; elle suppose même ordinairement, outre la connaissance des vérités énoncées tout à l’heure, la possession de facultés surnaturelles. On la donne aux premiers et aux plus éminents disciples du Buddha ; les personnages divins, comme Avalôkitêçvara et Mañdjuçrî, la reçoivent dans tous les livres, et les copistes du Népâl l’appliquent même aux ouvrages qui passent pour émanés de l’enseignement de Çâkyamuni ; dans ce dernier emploi, ce terme revient à peu près à celui de saint[2]. Ces Âryas ou vénérables ne sont pas ainsi nommés d’après l’âge, comme les Sthaviras ; ils doivent ce titre à leurs vertus, à leurs facultés supérieures et aux perfections qui les affranchissent plus ou moins complètement des conditions de l’existence auxquelles reste soumis le commun des hommes. Suivant les Barmans, dont j’emprunte ici le témoignage, parce que les titres de l’énumération qui nous occupe se rencontrent aussi bien dans le Buddhisme du Sud que dans celui du Nord, le titre d’Ârya s’applique aux quatre ordres qui paraissent les premiers dans le texte cité plus haut, les Çrôta âpannas, les Sakrĭd âgâmins, les Anâgâmins et les Arhats[3]. Chacun de ces ordres se subdivise à son tour en deux classes, selon que celui qui en fait partie est ou n’est pas encore parvenu aux récompenses que son ordre comporte. Ainsi on distingue le Çrôta âpatti mârga sthâna d’avec le Çrôta âpatti phala sthâna, c’est-à-dire l’action d’être dans la voie du Çrôtâ âpatti[4] d’avec celle d’être dans la récompense de ce

  1. Je reviendrai plus bas sur ces axiomes, d’ailleurs déjà connus, que je présenterai sous la forme même qu’ils ont dans les textes sanscrits du Nord. (Voy. les additions, à la fin du volume.)
  2. Sur cet emploi du mot Ârya, et sur les diverses traductions qu’en donnent les Buddhistes de l’Asie centrale, voyez M. Schmidt, Geschichte der Ost-Mongol, p. 395.
  3. Judson, Burman Diction., p. 27.
  4. La différence des deux formes Çrôta âpatti et Çrôta âpama est celle du substantif abstrait