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DU BUDDHISME INDIEN.

des Yakchas, des Dânavas, nous voici tombés dans le danger le plus redoutable. Ah ! puissent ceux qui sont à l’abri du danger être aujourd’hui nos protecteurs !

Quelques-uns invoquent l’époux de Çatchî, d’autres Brahmâ, d’autres Hari et Çamkara, se précipitant contre terre, se réfugiant auprès des arbres et dans la forêt ; ces malheureux, emportés par le vent et par les Piçatchas, implorent le secours [des Dieux].

Cependant Dârukarnin était immobile de découragement ; les passagers lui demandèrent : Chef des marchands, nous voici tombés dans un danger redoutable et auquel il est difficile d’échapper. Pourquoi restes-tu ainsi plongé dans le découragement ? Seigneurs, reprit-il, mon frère m’avait averti, en me disant : Le grand Océan a peu de jouissances et beaucoup de misères ; bien des gens, aveuglés par la cupidité, s’y embarquent, mais peu en reviennent. Aie soin de ne t’embarquer, sous aucun prétexte que ce soit, sur le grand Océan. Sans tenir compte de ses paroles, je me suis dit : Il faut que je m’embarque, et je me suis embarqué en effet ; que puis-je donc faire maintenant ? Qui est ton frère ? dirent les marchands. Pûrṇa, reprit leur chef. Seigneurs, s’écrièrent les marchands, c’est ce Pûrṇa même, l’Ârya, celui qui possède la grandeur et la vertu ; hâtons-nous d’implorer son secours. Et aussitôt tous, d’une voix unanime, firent entendre en même temps cette prière : Adoration à Pûrṇa l’Ârya ! Adoration, adoration à Pûrṇa l’Arya ! Alors les Divinités qui étaient favorables au respectable Pûrṇa se rendirent au lieu où il se trouvait ; et quand elles y furent arrivées, elles s’adressèrent à lui en ces termes : Ô Ârya, ton frère est tombé dans un danger redoutable et auquel il est difficile d’échapper ; réfléchis-y. Pûrṇa se mit à réfléchir ; et il se livra à une méditation telle, que dès que sa pensée y fut plongée, il disparut du pays des Çrôṇâparântakas, et se trouva au milieu du grand Océan, assis les jambes croisées sur le bord du vaisseau. Aussitôt la noire tempête s’apaisa, comme si elle eût été arrêtée par le Sumêru. Alors Mahêçvara le Yakcha se mit à réfléchir : Autrefois un vaisseau, quel qu’il fût, qui était assailli par une noire tempête, était lancé et détruit, semblable à une mèche de coton ; mais aujourd’hui quelle est la cause pour laquelle la noire tempête s’apaise, comme si elle était arrêtée par le Sumêru ? Il commença donc à regarder de côté et d’autre, jusqu’à ce qu’enfin il aperçut le respectable Pûrṇa assis les jambes croisées sur le bord du vaisseau ; et quand il l’eut vu, il lui cria : Oh ! Pûrṇa l’Ârya, pourquoi me braves-tu ? Ô toi qui es soumis à la condition de la vieillesse, reprit Pûrṇa, est-ce moi qui te brave ? C’est plutôt toi qui m’insultes. Si je n’avais pas acquis la foule de qualités que je possède, il ne resterait plus, grâce à toi, de mon frère qu’un