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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

t’envoie. L’homme se rendit auprès de la femme de Bhavila, et lui dit ce qui s’était passé. Se frappant alors la poitrine, elle s’écria : Après avoir perdu sa fortune, aurait-il aussi perdu la raison ? Je lui ai dit d’apporter quelque chose de cuit, et il m’envoie de quoi faire du feu ; mais de quoi cuire, c’est ce qu’il ne donne pas. Cependant, avec ce qui lui restait de Kârchâpanas, Pûrṇa fit l’acquisition de deux esclaves de l’un et de l’autre sexe, d’un bœuf et d’une vache, de vêtements et d’autres moyens de subsistance ; puis prenant du riz cuit, il se rendit à la maison, et le servit à son frère et à sa femme. La famille en fut comblée de joie.

À quelque temps de là, le roi de Sûrpâraka tomba malade d’une fièvre chaude. Les médecins lui prescrivirent pour médicament du santal de l’espèce dite Gôçîrcha. Les ministres du roi se mirent donc à ramasser du santal de cette espèce. Ils apprirent de proche en proche ce qui s’était passé au marché. S’étant rendus chez Pûrṇa, ils lui dirent : Tu as du bois de santal de l’espèce qu’on nomme Gôçîrcha. — Oui, répondit-il. — À quel prix le donnerais-tu ? — Pour mille Kârchâpanas. Les ministres le prirent pour cette somme. On le donna au roi sous forme d’onguent, et il recouvra la santé[1]. Le roi fit alors cette réflexion : Qu’est-ce qu’un roi que celui dans la maison duquel il n’y a pas de santal de l’espèce Gôçîrcha ? Puis il demanda : D’où vient celui-ci ? — De chez Pûrṇa. — Qu’on appelle ce Pûrṇa. Un messager fut dépêché au marchand et lui dit : Pûrṇa, le roi te demande. Pûrṇa se mit alors à réfléchir : Pourquoi, se dit-il, le roi m’appelle-t-il ? C’est sans doute parce qu’il doit sa guérison au santal Gôçîrcha qu’il me fait appeler ; il faut que j’aille le trouver, en emportant tout mon santal avec moi. Enveloppant donc trois morceaux de santal dans son vêtement, et en prenant un à la main, il se rendit en présence du roi. Celui-ci lui demanda : Pûrṇa, as-tu encore du santal ? — Oui, seigneur, en voici. — Quel prix en veux-tu ? — Un Lak de Suvarṇas. — En as-tu encore d’autre ? —

  1. L’opinion exprimée ici touchant les propriétés réfrigérantes du santal était fort généralement répandue dans les premiers temps du Buddhisme, et les légendes en offrent de fréquents témoignages. Quand le roi Adjâtaçatru tomba sans connaissance au récit de la mort de Çâkyamuni, c’est avec du santal qu’on lui fit reprendre ses sens. (Csoma, Asiat. Res., t. XX, p. 310.) Une légende tibétaine traduite du mongol par M. Schmidt, et relative à la découverte d’une statue d’Avalôkitêçvara, exprime la même croyance de cette manière : « Les endroits où se trouvent « des arbres de santal se font remarquer par leur fraîcheur ; les éléphants les recherchent et « viennent s’y réfugier contre la chaleur dévorante du soleil. » (Schmidt, Geschichte der OstMongol, p. 332.) Les anciens auteurs qui se sont occupés de la botanique de l’Inde font aussi mention de cette croyance, qui subsiste encore aujourd’hui. (Rumphius, Herbar. Amboinense, t. II, p. 45, éd. Burman. Garcias ab Horto, Aromat., liv. I, c. XVII.) On sait enfin que la qualité rafraîchissante du santal est pour les poètes brâhmaniques un sujet de comparaisons fréquemment employé ; il me suffit de rappeler ici quelques vers connus du Gita gôvinda.