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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

y vint et en prit plein un vase. Les deux autres mères l’ayant vu, y envoyèrent leurs enfants. Le hasard voulut qu’ils vinssent au moment où de la mélasse était exposée dans la boutique ; aussi est-ce de la mélasse qu’ils prirent. Leurs mères s’en aperçurent, et elles importunèrent tant leurs maris, qu’ils commencèrent à songer à faire le partage de l’établissement. Les deux frères avaient entre eux des entretiens à ce sujet : On nous lait tort en tout, se disaient-ils ; il faut faire le partage. L’un disait : Avertissons notre frère aîné ; l’autre répondait : Examinons cependant comment nous ferons le partage. Ils divisèrent donc ainsi l’établissement à leur gré : à l’un ce que renferme la maison et ce que produisent les terres ; à l’autre ce que contient la boutique, et les biens situés hors du pays ; au troisième Pûrṇa. Si notre aîné prend la maison et les terres, nous pourrons subsister avec la boutique et avec les biens situés hors du pays. S’il prend au contraire la boutique et les biens situés hors du pays, nous pourrons encore subsister avec la maison et les terres, et garder Pûrṇa [pour le faire travailler[1]].

« Après s’être livrés à de pareils entretiens, ils se rendirent auprès de Bhavila. Frère, lui dirent-ils, on nous fait tort ; exécutons le partage de la maison. Bhavila leur dit : Il ne faut agir qu’après avoir mûrement réfléchi ; les femmes causent la division des familles. Les deux frères répondirent : Nous y avons réfléchi suffisamment ; faisons le partage. Bhavila reprit : S’il est ainsi, appelons les gens de notre caste [comme arbitres[2]]. Nous avons déjà fait nous-mêmes le partage, lui dirent ses deux frères ; nous avons assigné à l’un ce que renferme la maison et ce que produisent les terres ; à l’autre la boutique et les biens situés hors du pays ; au troisième Pûrṇa. Ne faites-vous pas de part à Pûrṇa ? dit Bhavila. C’est le fils d’une esclave, reprirent les deux frères ; qui pourrait lui donner une part ? Au contraire même, nous avons fait de lui un objet de partage ; si cela le convient, tu peux le prendre. Bhavila fit alors cette réflexion : Mon père m’a dit : Abandonne, s’il le faut, tout ton bien, et prends Pûrṇa ; puis ayant résolu de garder ce dernier, il dit à ses frères : Qu’il soit ainsi ; je prends pour moi Pûrṇa. Celui qui eut la maison et les terres se

  1. Je traduis ainsi conjecturalement la phrase du texte qui me paraît obscure : Pûrṇakasya tcha maryâdâ bandhanam̃ kartum, « et Pûrṇam intra limites cohibere. » Le tibétain traduit : et faire souffrir Pûrṇa. »
  2. C’est par conjecture que je traduis ainsi [âhvayantâm̃ kulâni ; le tibétain se sert de l’expression gzo-bo mi-lta, qui signifie peut-être « la réunion des artisans. » Les artisans ici doivent être la caste des marchands à laquelle appartenaient les fils de Bhava. Le sens le plus général de kula est celui de famille, troupe ; mais ce sens ne peut se déterminer que par le contexte. Ainsi, dans le Mrîtch tchhakatî, on voit un Religieux buddhiste nommé à la dignité de chef des monastères d’Udjain ; et cette dignité se nomme celle de Kulapati, c’est-à-dire « le chef des troupes de Religieux. » (Mrîtch tchhakatî, p. 342, éd. Calc. Wilson, Hindu Theatre, t. I, p. 179, note ‡.)