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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

la compassion ? Quel est celui auquel je demanderai l’aumône de quelques aliments pour me nourrir ? Alors le bienheureux Pratyêka Buddha, avec sa vue divine, pure et supérieure à celle de l’homme, embrassant la totalité du Djambudvîpa, vit que tout le riz et que tous les autres moyens de subsistance de ce continent étaient épuisés, sauf une petite mesure de nourriture qui restait au roi Kanakavarṇa. Et aussitôt il fit cette réflexion : Pourquoi ne témoignerais-je pas ma compassion pour le roi Kanakavarṇa ? Pourquoi n’irais-je pas dans son palais chercher l’aumône de quelques aliments pour me nourrir ? Alors le bienheureux Pratyêka Buddha s’élançant miraculeusement en l’air, se dirigea en vertu de sa puissance surnaturelle, laissant voir son corps et semblable à un oiseau, vers le lieu où était située la ville capitale de Kanakavatî.

En ce moment le roi Kanakavarṇa était monté sur la terrasse de son palais, entouré de cinq mille conseillers. Un des grands officiers aperçut de loin le bienheureux Pratyêka Buddha qui s’avançait, et à cette vue il s’adressa ainsi aux autres ministres : Voyez, voyez, seigneurs, cet oiseau aux ailes rouges qui se dirige de ce côté. Mais un second conseiller reprit ainsi : Ce n’est pas un oiseau aux ailes rouges, seigneurs ; c’est le Râkchasa, démon ravisseur de l’énergie des hommes, qui accourt ici ; il vient pour nous dévorer. Mais le roi Kanakavarṇa passant ses deux mains sur son visage, s’adressa ainsi à ses grands conseillers : Ce n’est, seigneurs, ni un oiseau aux ailes rouges, ni le Râkchasa ravisseur de l’énergie des hommes, c’est un Rĭchi qui vient ici par compassion pour nous. En ce moment le bienheureux Pratyêka Buddha s’arrêta sur la terrasse du palais de Kanakavarṇa. Aussitôt le roi s’étant levé de son siége pour aller au-devant du Pratyêka Buddha, salua ses pieds en les touchant de la tête, et le fit asseoir sur le siége qui lui était destiné ; puis il lui adressa ces paroles : Pour quel motif, ô Rĭchi, es-tu venu ici ? — Pour chercher de la nourriture, grand roi. À ces mots, le roi Kanakavarṇa se mit à pleurer, et il s’écria, au milieu d’un torrent de larmes : Ah misère ! ah ! quelle est ma misère ! Faut-il que monarque et souverain maître du Djambudvîpa, je sois hors d’état de donner à un seul Rĭchi une portion de nourriture ? Alors la Divinité qui résidait dans la ville capitale de Kanakavatî récita, en présence du roi Kanakavarṇa, la stance suivante :

Qu’est-ce que la douleur ? c’est la misère. Qu’est-ce qui est pire que la douleur ? c’est encore la misère : la misère est l’égale de la mort.

Ensuite le roi Kanakavarṇa manda l’homme préposé à la garde du grenier : Y a-t-il dans mon palais quelque chose à manger, pour que je le donne à ce Rĭchi ? Le gardien répondit : Sache, ô roi, que tout ce qu’il y avait de riz et d’autres moyens de subsistance dans le Djambudvîpa est épuisé, sauf une seule petite portion de nourriture qui appartient au roi. Kanakavarṇa fit alors cette