Page:Burckhardt - La civilisation en Italie au temps de la Renaissance. Tome 2.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

automne je vais visiter les villes voisines ; j’y vois mes amis, je cause avec eux, ils me font faire la connaissance d’autres personnes distinguées, telles que des architectes, des peintres, des sculpteurs, des musiciens et des agronomes. J’admire leurs créations nouvelles, je revois ce que je connaissais déjà, et je continue ainsi d’apprendre des choses utiles ; les palais, les jardins, les antiquités, les villes, les églises, les travaux de fortification, tout concourt à m’instruire. Mais ce qui surtout m’enchante quand je suis en voyage, c’est la beauté des sites et des endroits que je traverse et que je vois tantôt dans la plaine, tantôt sur des hauteurs, baignés par des rivières ou par des ruisseaux, ornés de maisons de campagne et de jardins. Mes jouissances restent entières, car j’ai conservé, Dieu merci, le plein usage de tous mes sens ; mon goût lui-même n’a pas souffert de l’âge : aujourd’hui les aliments simples et modestes dont je me contente, ont plus de saveur pour moi que les mets friands qu’il fallait autrefois à ma sensualité. »

Après avoir rappelé les travaux de dessèchement qu’il a entrepris pour la république et les projets qu’il n’a cessé de proposer pour la conservation des lagunes, il termine ainsi : « Voilà les véritables récréations d’une vieillesse à laquelle Dieu a épargné les maladies et qui ne connaît pas ces souffrances physiques et morales auxquelles succombent tant d’hommes plus jeunes que moi et tant d’autres qui ont mon âge. Et s’il est permis de mêler le plaisant au sérieux, je dirai que si dans ma quatre-vingt-troisième année j’ai pu écrire une comédie très-amusante, qui fait rire sans blesser la bienséance, c’est encore à ma modération en toutes choses que je le dois. D’ordinaire c’est la jeunesse qui fait des comédies, tandis que la tragédie est plutôt l’affaire de l’âge mûr et