Page:Burckhardt - La civilisation en Italie au temps de la Renaissance. Tome 2.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parfaite d’un homme de l’Europe moderne. En général, des caractères comme celui de saint Louis sont fort rares ; de plus, c’est une bonne fortune singulière qu’il se soit rencontré un écrivain d’une entière naïveté qui ait su démêler les sentiments de son héros dans tous les traits et dans tous les événements dont sa vie se compose, et les représenter en même temps d’une manière si parlante. Qu’il est difficile, en présence de l’insuffisance des sources historiques, de reconstituer même à peu près l’image d’un Frédéric II ou d’un Philippe le Bel ! Bien des ouvrages qui, jusqu’à la fin du moyen âge, prétendent au titre de biographies, ne sont, à vrai dire, que des chroniques ; il leur manque absolument le sentiment de l’individualité du personnage à peindre.

Chez les Italiens, au contraire, la recherche et l’étude des traits caractéristiques d’hommes considérables deviennent une tendance dominante, et c’est là ce qui les distingue du reste des Occidentaux, chez lesquels cette préoccupation ne se manifeste qu’à titre accidentel et dans des cas extraordinaires. En général, ce développement du sentiment de l’individualité ne peut exister que chez celui qui lui-même est sorti de la race pour devenir individu.

En même temps que se répand l’idée de la gloire (t. I, p. 177 ss.), se forment des biographes indépendants, de véritables critiques qui n’ont plus besoin de s’en tenir à des dynasties et à des séries de personnages ecclésiastiques, comme Anastasius[1], Agnellus[2] et leurs

  1. Il s’agit du bil)liotbécaire Anastasius, du milieu du neuvième siècle, auquel on attribuait autrefois, mais à tort, toute la collection des Vies des papes (Liber pontificalis). Comp. Wattenbach. Source de l’histoire d’Allemagne, 3e éd., I, p. 223 ss.
  2. À peu près contemporain d’Anastasius ; il est l’auteur d’une histoire de l ’évêché de Ravenne ; voir Wattenbach, p. 227.