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mais dans l’action, témoin le célèbre vingt-troisième chant et les suivants, où il décrit la folie et les fureurs de Roland. Les histoires d’amour qu’il mêle à son poëme héroïque n’ont pas ces couleurs tendres dont un poëte lyrique les aurait revêtues ; c’est un mérite de plus, quand même on ne peut pas toujours les approuver au point de vue de la morale. Par contre, elles ont parfois, en dépit de la magie et de la chevalerie qui s’y mêlent, un tel air de vérité et de réalité qu’on croit y trouver l’histoire du cœur du poëte lui-même. Emporté par le sentiment de sa puissance, il a, sans y penser, introduit dans son grand poëme bien des éléments contemporains ; c’est ainsi qu’il y a fait entrer la gloire de la maison d’Este sous forme d’apparitions et de prédictions. Tout cela trouve place dans ses merveilleuses octaves, qui se succèdent ainsi que les ondes d’un fleuve s’avancent d’un mouvement égal et continu

Avec Teofilo Folengo, ou, comme il se nomme encore, Limerno Pitocco, la parodie prend la place à laquelle elle aspire depuis longtemps[1] ; mais avec le comique et son réalisme reparaît en même temps la sérieuse peinture des caractères. Au milieu des horions et des coups de pierres qu’échange la turbulente jeunesse d’une petite ville de la campagne de Rome, grandit le petit Roland : ses débuts annoncent à la fois un héros, un ennemi des moines et un raisonneur. Ici s’évanouit ce monde fantastique et conventionnel qui s’était formé depuis Pulci et qui avait servi de cadre à l’épopée ; l’origine ainsi que les faits et gestes des paladins sont hardiment ridiculisés, témoin ce tournoi du deuxième chant, où les chevaux sont remplacés par des ânes et où les chevaliers apparaissent

  1. Son Orlandino, première édition, 1526.