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L’infinie variété des fictions par lesquelles Bojardo, plus que tout autre, nous jette constamment dans de nouvelles surprises, est un démenti perpétuel donné aux définitions classiques de l’essence de la poésie épique, telles que nous les avons adoptées. À cette époque, c’était la plus agréable diversion à l’étude de l’antiquité ; c’était en même temps la seule voie possible pour revenir à une poésie narrative indépendante. Car, en poétisant l’histoire de l’antiquité, on en venait à se perdre dans ces sentiers trompeurs où s’était égaré Pétrarque avec son Afrique en hexamètres latins, et, cent cinquante ans après lui, le Trissin avec son Italie délivrée des Goths en vers sciolti, vaste poëme dont la langue et la versification sont irréprochables, mais dont on ne peut dire si c’est l’histoire ou la poésie qui a le plus souffert dans cette malheureuse union de toutes deux[1].

Et dans quelles aberrations ne sont pas tombés ceux qui ont imité Dante ? Les Triomphes visionnaires de Pétrarque sont la dernière œuvre d’imitation qui ne pèche pas contre le bon goût ; la « Vision amoureuse » de Boccace n’est déjà plus qu’une énumération de personnages historiques et fabuleux, rangés en catégories allégoriques[2]. D’autres débutent par une imitation baroque du premier chant de Dante, et se pourvoient d’un guide allégorique qui prend la place de Virgile ; Uberti a choisi Solinus pour son poëme géographique (Diltamondo), Giovanni Santi a pris Plutarque pour son poëme à la louange de Frédéric d’Urbin[3]. Cette fausse

  1. L’Italia liberata da Goti, Rom., 1547.
  2. Comp. plus haut, p. 48 ; Landau, Boccace, p. 64-69. Pourtant il faut considérer que Pouvrage de Bocc. dont il s’agit a été écrit avant 1344, tandis que l’ouvrage de Pétrarque a été composé après la mort de Laure, par conséquent après 1348.
  3. Vasarl. VIU, 71, dans le commentaire sur la Vitadi Bafaelle.