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On les voit agir en souverains dans ce domaine nouveau qu’ils ont conquis pour la poésie. Ils semblent avoir eu surtout en vue d’intéresser et d’amuser le plus possible par les détails; en effet, ces poëmes gagnent énormément quand ou les entend réciter par fragments, avec une légère nuance de comique dans la voix et dans le geste. Une peinture des caractères plus savante et plus profonde n’aurait guère contribué à augmenter cet effet ; libre au lecteur de la souhaiter ; quant à l’auditeur, il n’y songe pas, puisqu’il n’entend jamais qu’un fragment et qu’en fin de compte il ne voit devant lui que le rapsode. Relativement aux figures qui lui sont imposées, le poëte suit un autre courant d’idées : son instinct d’humaniste proteste contre ce monde du moyen âge qu’il représente, et, d’autre part, ces luttes qui sont comme le pendant des tournois et des guerres de son temps, exigent une connaissance approfondie de la matière et de grandes aptitudes poétiques; elles fournissent en même temps une occasion de briller au déclamateur qui les récite. C’est pourquoi Pulci lui-même [1] n’en vient pas à faire la parodie proprement dite de la chevalerie, bien que la crudité de langage qu’il attribua plaisamment à ses paladins la frise souvent. À côté de ces rudes chevaliers il place l’idéal des batailleurs, son singulier et débonnaire Morgante, qui avec son battant de cloche a raison d’armées entières ; il sait même relever et idéaliser relativement cette figure un peu gros-

    str. 153 ss.) — L’introduction critique de Limerno Pitocco est encore plus plaisante. {Orlandim, cap. i, str. 12-22.)

  1. Le Morgante composé en 1460 et dans les années suivantes, imprimé pour la première fois à Venise en 1481. La dernière édition est de P. SermoHi, Florence, 1872. — Sur les tournois, voir plus bas, cinquième partie, chap. I. Pour la question traitée ici et plus bas, nous nous bornons à renvoyer le lecteur à Ranke, Sur l‘hisioire delà poésie italienne, Berlin, 1837