Page:Burckhardt - La civilisation en Italie au temps de la Renaissance. Tome 2.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’autres apôtres, de telle façon qu’on est presque forcé de faire remonter l’existence de pareils cortèges à une époque très-ancienne. C’est ce que semble prouver surtout le char qui porte Béatrice, char qui serait inutile dans la forêt magique et qui peut même paraître singulier. Ou bien Dante n’a-t-il considéré le char que comme le symbole essentiel du triomphe ? est-ce son poëme qui a donné l’idée de ce genre de fêtes, dont la forme était empruntée aux triomphes des empereurs romains ? Quoi qu’il en soit, il est certain que la poésie et la théologie ont tenu à conserver ce symbole. Savonarole, dans son « Triomphe de la croix », représente[1] le Christ sur un char triomphal ; au-dessus de lui brille le globe de la Trinité ; dans sa main gauche il a la croix, dans sa main droite les deux Testaments ; plus bas se trouve la vierge Marie ; devant le char marchent des prophètes, des apôtres, des patriarches et des prédicateurs ; de chaque côté s’avancent les martyrs et les docteurs avec leurs livres ouverts ; derrière vient toute la foule des convertis ; à une certaine distance se pressent en masses innombrables les ennemis, les empereurs, les puissants, les philosophes, les hérétiques, tous vaincus, avec leurs idoles détruites et leurs livres brûlés. (Une grande composition de Titien, connue sous la forme d’une gravure sur bois, se rapproche assez de cette description.) Parmi les treize élégies composées par Sabellico (t. I, p. 79 ss.) en l’honneur de la Sainte Vierge, la neuvième et la dixième contiennent la relation détaillée d’un triomphe de la Mère de Dieu, triomphe embelli de nombreuses allégories et surtout intéressant par ce caractère positif

  1. Pillari, Savonarola, traduction de M. Berduschek, 1868, II, p. 181-191. Comp. Ranke, Histoire des peuples de race germanique et de race latine, 2e édit. (1874), p. 95.