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CHAPITRE VII. — LES RÉPUBLIQUES : VENISE, FLORENCE.

cable l’armement de tous les citoyens[1]. La tyrannie dévora la liberté dans la plupart des villes ; de temps à autre les tyrans étaient renversés, mais ils se relevaient toujours, et la tyrannie reparaissait plus vivace que jamais, parce que la situation intérieure la favorisait et qu’il n’y avait plus de forces vives pour la combattre

Parmi les villes qui conservèrent leur indépendance il en est deux dont l’existence forme, dans l’histoire de l’humanité, un chapitre des plus intéressants : Florence, la ville du mouvement, qui nous a légué le souvenir de toutes les idées, de toutes les aspirations individuelles ou générales qui, pendant trois siècles, se sont fait jour dans ce centre intellectuel, et Venise, la ville de l’immobilité apparente et du silence politique. Elles présentent les plus forts contrastes que l’on puisse imaginer, tout en étant chacune unique dans son genre.

Venise se proclamait une création extraordinaire et mystérieuse ; elle prétendait devoir sa grandeur à d’autres causes que l’industrie de l’homme. Il circulait une légende sur la fondation solennelle de la ville : le 25 mars 413 à midi, les colons venus de Padoue avaient posé la première pierre du Rialto, qui devait être un asile inattaquable et sacré dans l’Italie déchirée par les Barbares. Plus tard, les écrivains ont attribué à ces fondateurs tous les pressentiments de la grandeur future de Venise : Marc-Antoine Sabellico. qui a célébré cet événement en magnifiques hexamètres, fait dire au prêtre qui bénit la ville naissante : « Quand nous tenterons un jour de grandes choses, c’est alors, ô Ciel, que nous aurons besoin de ton appui. Aujourd’hui, c’est au pied d’un

  1. Sur le dernier point, voir Jac. Nardi, Vita di Ant. Giacomini (Lucques, 1818), p. 18.