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L’ÉTAT AU POINT DE VUE DU MÉCANISME.

En général, ce duché est pourvu de nombreux espions, et le duc en personne examine tous les jours la liste des étrangers, que les hôteliers sont rigoureusement tenus de présenter au palais. Chez Borso[1], ce n’est que l’effet de son humeur hospitalière, qui ne veut laisser partir aucun voyageur de distinction sans le traiter avec honneur ; par contre, Hercule Ier[2] ne faisait cette vérification que par mesure de précaution. À Bologne aussi, sous Jean II Bentivoglio, il fallait à cette époque que chaque étranger de passage prit un bulletin d’entrée pour avoir le droit de sortir de la ville[3]. — Le prince devient populaire au plus haut degré quand tout à coup il frappe sans pitié un fonctionnaire qui a abusé de son pouvoir, quand Borso en personne arrête ses premiers, ses plus intimes conseillers, quand Hercule Ier destitue ignominieusement un percepteur qui, pendant de longues années, s’est gorgé de l’argent des contribuables ; dans ces cas-là le peuple allume des feux de joie et sonne les cloches. Une fois cependant Hercule permit à l’un de ses fonctionnaires d’aller trop loin ; il s’agit de son préfet de police (capitaneo di giustizia), Gregoris Zampante de Lacques (car il eût été impossible de confier à un indigène des fonctions de ce genre). Même les fils et les frères du duc tremblaient devant cet agent ; les amendes qu’il infligeait n’allaient jamais à moins de quelques centaines ou quelques milliers de ducats, et il faisait mettre les accusés à la torture même avant de les avoir entendus. Il se laissait corrompre par les plus grands criminels et, à force de mensonges, obtenait leur grâce du duc. Le peuple aurait volontiers payé au prince 40 000 ducats et

  1. Jovian. Pontan., De liberalitate, cap. xxviii.
  2. Giraldi Hecatommithi, VI, nov. 1 (ed. 1565, fol. 223 a).
  3. Vasari, XII, 165, Vita di Michelangelo.