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CHAPITRE V. — LES GRANDES MAISONS RÉGNANTES.

toute une légion de saints[1] ; il lit des auteurs anciens, goûte les poésies de Dante et de Pétrarque et se fait lire des romans de chevalerie français. Enfin, ce même homme, qui ne voulait jamais entendre parler de la mort[2] et qui faisait disparaître du château jusqu’à ses favoris mourants, afin que le trépas de personne ne vint attrister un séjour voué à la joie, ce même homme a hâté volontairement sa fin en laissant se fermer une plaie et en refusant de se laisser pratiquer une saignée, et il est mort avec noblesse et dignité.

Son beau-fils et enfin son hériiier, l’heureux condottiere François Sforza (1450-1466, p. 30), était peut-être de tous les Italiens l’homme tel que le quinzième siècle les préférait. Jamais on n’avait vu un triomphe plus éclatant du génie et de la force individuelle ; même ceux qui n’étaient pas disposés à reconnaître le nouveau souverain ne pouvaient s’empêcher d’admirer en lui un favori de la fortune. Milan était flatté d’avoir à sa tête un prince aussi célèbre ; lorsqu’il était entré dans sa capitale, le peuple l’avait porté â cheval dans la cathédrale, sans souffrir qu’il mît pied à terre[3]. Voyons le bilan de sa vie, tel que l’a dressé le pape Pie II[4], qui se connaissait en pareille

  1. Serait-ce par hasard à lui que l'on doit les quatorze statues de marbre des sauveurs de la ville, qui ornaient les abords du château de Milan ? Voir l’Histoire des Frondsberg, fol. 27.
  2. Il était tourmenté quod aliquando « non esse » necesse esset.
  3. Corio, fol. 400 ; — Cagnola, dans les Archiv. stor., III, p. 125.
  4. Pie II Comment., III, p. 130. Compar. II, 87, 106, Caracciolo peint sous des couleurs encore plus sombres les vicissitudes de la fortune de Sforza, De varietate fortunæ, dans Murat., XXII, col. 74, — Par contre, un autre ouvrage célébre la fortune de Sforza, c'est Oratio parentalis de divi Francisci Sphortiæ felicitate, par Filelfo. Cet écrivain, toujours prêt à faire l'éloge des maîtres les plus divers qui le payaient, a chanté les faits et gestes de François dans une Sforziade qui n'a pas été imprimée. Même Decembrio (voir ci-dessus, p. 47, n. 1), l’adversaire moral et littéraire de Filelfo, a vanté dans sa biographie (Vita Franc. Sfortiæ dans Mura-