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CHAPITRE X. — LA PAPAUTÉ ET SES DANGERS.

d’après les principes que lui avait révélés l’histoire des derniers temps, et il consacra toute l’énergie et toute la passion de son âme indomptable à asseoir solidement sa domination. Il est vrai que son élection au trône pontifical fut l’objet de négociations équivoques ; mais elle ne donna pas lieu à des actes de simonie, elle fut sanctionnée par l’approbation générale, et, à partir de son avènement, le trafic des grandes dignités ecclésiastiques cessa tout à fait. Jules avait des favoris qui n’étaient pas toujours dignes de sa faveur ; mais, par un bonheur singulier, il ne connut pas la plaie du népotisme : son frère Jean della Rovere était le mari de l’héritière d’Urbin, sœur du dernier Montefeltro, Guidobaldo, et de ce mariage était né (1491) un fils, François-Marie della Rovere, qui était en même temps héritier légitime du duché d’Urbin et neveu du Pape. Toutes les conquêtes que Jules II fit par voie diplomatique ou par la guerre, il mit son orgueil à les donner au Saint-Siége et non à sa famille ; aussi laissait-il à sa mort les États de l’Église, qu’il avait trouvés en pleine dissolution, entièrement soumis et agrandis de Parme et de Plaisance. Si cela n’avait tenu qu’à lui, Ferrare aussi eût été incorporée au domaine de l’Église. Les 700,000 ducats qu’il avait constamment dans le château Saint-Ange ne devaient être livrés par le gouverneur qu’au futur pape. Il recueillit sans scrupule les successions des cardinaux et même de tous les ecclésiastiques qui moururent à Rome sous son pontificat[1], mais il n’en fit périr aucun par le fer ou par le poison. Il a lui-même fait la guerre ; mais il n’a pu échapper à cette nécessité, et il s’en est

  1. De là cette pompe que les prélats déployaient dans les tombeaux qu’ils se faisaient élever de leur vivant ; c’était un moyen de dérober aux papes au moins une partie de leurs dépouilles.