Page:Burckhardt - La civilisation en Italie au temps de la Renaissance. Tome 1.djvu/13

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
9
CHAPITRE II. — LA TYRANNIE AU QUATORZIÈME SIÈCLE.

Pétrarque, dont les visites à ces cours ont été blâmées si sévèrement, a fait le portrait idéal d’un prince du quatorzième siècle[1]. Il demande au seigneur de Padoue, auquel il s’adresse, beaucoup et de grandes choses, mais en termes qui font supposer qu’il le croit capable de répondre à son attente. « Tu dois être, non le maître de tes sujets, mais leur père ; tu dois les aimer comme tes enfants, que dis-je ! comme toi-même[2]. Tu dois aussi leur inspirer de l’affection pour toi, non de la crainte, car la crainte engendre la haine. Tes armes, tes satellites, tes soudards, tu peux les tourner contre l’ennemi ; contre tes sujets, tu ne peux rien avec une garde du corps ; ce n’est que par la bienveillance que tu peux les gagner. Sans doute, je ne parle que des citoyens qui désirent la conservation de l’État, car celui qui ne rêve sans cesse que des changements est un rebelle et un ennemi de la chose publique. » Puis, entrant dans les détails, il expose la fiction toute moderne de la toute-puissance de l’État : le prince doit être libre, indépendant des courtisans ; mais, avec cela, il doit régner sans faste et sans bruit, pourvoir à tous les besoins : créer et entretenir des églises et des édifices publics, veiller à la police des rues[3], dessécher les

    qu’on lit dans Pétrarque, De rerum memorandarum, lib. II 3, 46.

  1. Petrarca, Epistolœ séniles, lib. XIV, 1, à François de Carrare (28 Nov. 1373). Cette lettre a souvent été imprimée à part, sous ce titre : De Republica optima administranda, p. ex., Berne, 1602.
  2. Ce n’est que cent ans plus tard que la femme du prince devient aussi la mère du pays Comp. l’Oraison funèbre de Blanche-Marie Visconti, par Jérôme Crivelli, dans Muratori, Scriptores rerum Italicarum, XXV, col. 429. C’est à la suite d’une plaisanterie du traducteur qu’une sœur du pape Sixte IV porte dans Jac. Volaterranus (Murat XXIII, col. 109) le nom de mater Ecclesiœ.
  3. Il exprime accessoirement le vœu, qui se rattache à un entretien antérieur, que le prince défende de nouveau qu’on laisse les porcs se vautrer dans les rues de Padoue, attendu que c’est un