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ignorants de l’art de Pugin ou indifférents à la poésie du passé. La maison était soudain apparue aux yeux de Frank du milieu de cette triste lande ; car elle était placée dans un creux et masquée par un bouquet de sapins chétifs et rabougris, et ce n’était qu’au moment où la route faisait brusquement un coude que l’œil découvrait cette demeure triste et désolée. Frank mit pied à terre et chargea l’homme qui l’avait accompagné de tenir son cheval ; puis après avoir soigneusement arrangé sa cravate, le jeune écolier d’Eton s’avança légèrement vers la porte et étonna la solitude du lieu par un violent coup de marteau. À ce bruit, un sansonnet tout surpris, qui avait bâti son nid sous le pignon, sortit tout à coup de sa demeure, et l’on vit s’envoler une nuée de pierrots, de mésanges et de bruants qui festoyaient dans le fumier d’une basse-cour placée à droite de la maison dont elle n’était séparée que par une palissade en mauvais état. Enfin, une truie suivie de sa florissante progéniture se montra à la porte de la palissade, et appuyant son groin sur la dernière barre, se mit à contempler le visiteur avec une curiosité mêlée de défiance.

Pendant que Frank est encore à la porte, frappant avec impatience son pantalon blanc du bout de sa cravache, nous jetterons un coup d’œil sur les divers membres de la famille qui se trouve à l’intérieur. M. Leslie, le pater familias, est dans une petite chambre appelée son cabinet de travail, dans laquelle il se retire régulièrement tous les matins après le déjeuner pour ne reparaître qu’au moment du dîner, c’est-à-dire vers une heure. À quelles occupations mystérieuses M. Leslie passe-t-il ces deux heures ? C’est ce que personne n’a jamais pu deviner. En ce moment, il est assis devant un petit bureau bancal dont un pied plus court que les autres est soutenu par une quantité de vieilles lettres et de vieux journaux. Le bureau est ouvert et laisse voir un grand nombre de tiroirs et de compartiments remplis de toutes sortes d’objets, collection d’un grand nombre d’années. Dans quelques-uns de ces compartiments sont des liasses de lettres jaunies par le temps et attachées avec des rubans passés ; dans un autre se trouve toute seule une pierre que M. Leslie a ramassée dans ses promenades et qu’il considère comme un minéral rare. Elle est proprement étiquetée : « Trouvée dans Hollow-Lane, 21 mai 1804, par Maunder Slugge Leslie, Esq. » Le compartiment voisin contient différents morceaux de fer sous la forme de clous, des fragments de fer de cheval, etc., que M. Leslie a aussi rencontrés dans ses excursions, et que suivant une innocente superstition, il a ramassés et soigneusement gardés pour que la chose ne lui portât pas malheur. Item, dans le petit tiroir voisin, une belle collection de cailloux remplis de trous et conservés pour la même raison. En compagnie d’un six pence tordu, item quelques coquilles proprement arrangées en mosaïques variées, des dents de nègre (je veux parler du coquillage de ce nom) et d’autres échantillons de conchyliologie dont une partie lui venait d’une vieille tante, et dont il avait ramassé lui-même l’autre partie pendant une excursion qu’il avait faite dans sa jeunesse au bord de la mer. Puis c’étaient des notes de fermier,