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— Supposons qu’il songeât à se marier.

— Je lui abandonnerais de grand cœur les deux meilleurs fermes de la propriété sans en exiger de loyer. Ha ! ha ! a-t-il déjà vu la jeune fille ? Je le laisserai libre de choisir, mon ami, comme j’ai fait moi-même. C’est le droit de tout homme. Ce n’est pas que miss Sticktorights, qui est une riche héritière, et à ce qu’on dit une fille très-présentable, ne m’eût fort convenu, car ce mariage joindrait les deux propriétés et mettrait fin à ce procès sur le droit de passage qui a commencé sous Charles II, et qui sans cela durera probablement jusqu’au jugement dernier. Mais n’importe, je veux que Frank prenne une femme à son goût.

— Je ne manquerai pas de le lui dire, monsieur : j’avais craint que vous n’eussiez des préjugés. Mais nous voici à la ferme.

— Au diable soit la ferme ! Comment songerais-je à des moutons quand nous parlons du mariage de Frank. Viens par ici. Que parlais-tu de préjugés ?

— Je pensais que vous pourriez, par exemple, tenir à ce qu’il épousât une Anglaise ?

— Une Anglaise ! Bonté divine, veut-il donc épouser une Chinoise ?

— Je ne sache pas qu’il veuille se marier du tout ; je ne faisais qu’une supposition ; mais s’il devenait amoureux d’une étrangère…

— D’une étrangère ! Ah ! Harry avait… Le squire s’arrêta court.

— Qui peut-être, ajouta Randal (faussement, s’il entendait parler de Mme di Négra), qui peut-être parlerait à peine anglais.

— Seigneur Dieu ! Ayez pitié de nous !

— Et une catholique romaine…

— Adorant les idoles et rôtissant les gens qui ne les adorent pas.

— Le signor Riccabocca n’en est pas là.

— Rickeybockey ! Si c’était sa fille encore ! Mais une femme qui ne parlerait pas anglais ; qui n’irait pas à l’église de la paroisse ! Sur mon âme, si Frank me faisait un tour pareil, je ne lui laisserais pas un shilling. Je le ferais comme je le dis, Randal ; je suis bon homme et facile à vivre, mais quand une fois j’ai dit quelque chose, c’est dit. Mais c’est une plaisanterie, tu as voulu te moquer de moi, n’est-ce pas ? Frank ne songe pas à une poupée de cette espèce, c’est impossible ?

— Je vous assure, monsieur, que si jamais j’apprends qu’il y songe sérieusement, je vous en avertirai à temps. Pour le moment je ne voulais que savoir quelle sorte de belle-fille vous souhaiteriez. Vous disiez que vous n’aviez pas de préjugés.

— Je n’en ai pas, en effet, pas le moindre.

— Cependant vous ne voudriez pas d’une étrangère, ni d’une catholique ?

— Qui diable en voudrait ?

— Mais si elle était d’un haut rang et titrée ?

— Au diable soient son rang et son titre ! Tout cela n’est que forfanterie d’étrangère.