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— Et moi aussi, en un sens, dit le squire, car il remporte toujours un billet de banque pour Frank.

— J’espère qu’il est sincèrement l’ami de Frank.

— De qui le serait-il ? Ce n’est pas de lui-même, le pauvre garçon, car je ne puis jamais lui faire accepter un shilling, bien que sa grand’mère fût Hazeldean tout comme moi. Mais son orgueil me plaît et aussi son économie. Quant à Frank…

— Chut, William, » dit mistress Hazeldean en mettant sa belle main devant la bouche du squire. Le squire s’adoucit et baisa galamment la belle main, peut-être baisa-t-il aussi les lèvres, toujours est-il que le digne couple se promenait amoureusement bras dessus, bras dessous, lorsque Randal le rejoignit.

Il ne parut pas remarquer une certaine froideur dans l’accueil de mistress Hazeldean, et se mit immédiatement à lui parler de Frank. Il loua l’extérieur du jeune homme, s’étendit sur sa bonne mine, sa bonne santé, sa popularité et ses heureuses qualités physiques et intellectuelles, et tout cela si chaleureusement que les légers soupçons qu’avait pu concevoir mistress Hazeldean fondirent comme la neige au soleil.

Randal continua à se rendre ainsi agréable jusqu’au moment où le squire, persuadé que son jeune parent était un agriculteur du premier ordre, insista pour l’emmener a sa ferme modèle.

Harry s’en retourna vers la maison pour faire préparer la chambre de Randal, car avait dit celui-ci : « Sachant que vous excuserez mon costume de voyageur, je prends la liberté de m’inviter à dîner et à coucher au château. »

En approchant des bâtiments de la ferme, Randal fut pris de terreur, car, en dépit de la science théorique des bucoliques et des géorgiques au moyen de laquelle il avait ébloui le squire, le pauvre Frank, si méprisé, l’eût battu vingt fois quand il s’agissait de juger des mérites d’un bœuf ou de l’apparence d’une récolte.

« Ah ! ah ! disait le squire en se frottant les mains, il me tarde de te voir étonner Stirn. Je suis sûr que tu devineras sur-le-champ où nous avons mis le meilleur engrais, et quand tu auras tâté mes courtes-cornes, je répondrais que tu nous diras à une livre près, combien de tourteaux on leur a donné.

— Oh ! vous me faites beaucoup trop d’honneur. Je ne connais de l’agriculture que les principes généraux ; les détails en sont fort intéressants, mais je n’ai pas eu l’occasion de les étudier.

— Absurde ! dit le squire. Comment un homme connaîtrait-il les principes généraux à moins d’avoir d’abord étudié les détails. Tu es trop modeste, mon garçon. Ah ! voici Stirn qui nous cherche. »

Randal aperçut à quelque distance le rude visage de Stirn, et se sentit perdu. Il eut recours, pour détourner les idées du squire, à une tentative désespérée.

« Eh bien, monsieur, dit-il, peut-être qu’un de ces jours Frank se conformera à vos désirs et se fera fermier.

— Ah ! s’écria le squire s’arrêtant court. Qu’y a-t-il de nouveau ?