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gnit pas un Élysée, mais un port sûr et tranquille ; il ne traça pas le portrait d’un héros de roman, mis il peignit sobrement le représentant du respectable et du réel vers lequel se tourne volontiers une femme alors que le roman commence à lui sembler une illusion. Quiconque eût pu à la fois lire dans le cœur de la personne à laquelle s’adressait Randal, et entendre parler celui-ci, se fût écrié avec admiration : « La science est véritablement une puissance, et cet homme, s’il déployait les mêmes talents sur un plus vaste théâtre, n’occuperait pas une place médiocre dans l’histoire de son temps. »

Béatrix s’arracha lentement aux rêveries qui envahissaient son âme tandis que Leslie parlait, et poussant un profond soupir, elle lui dit :

« Bien, bien ; en accordant tout ce que vous dites, avant que je puisse répondre à un amour si honorable, il faut que je sois délivrée des préoccupations sordides qui m’assiègent. Je ne puis dire à l’homme qui m’épousera : payez les dettes de la fille de Franzini et de la veuve de di Negra.

— Vos dettes ne sont qu’une bien légère partie de votre douaire.

— Mais ce douaire n’est pas assuré ; et ici voulant à son tour sonder son compagnon, Mme di Negra tendant la main à Randal lui dit avec l’accent le plus séduisant : Vous êtes donc sincèrement mon ami ?

— Pouvez-vous en douter ?

— Je vais vous prouver que je n’en doute pas, en vous demandant de me venir en aide.

— En quoi ?

— Écoutez-moi ; mon frère est arrivé à Londres.

— J’ai vu son arrivée annoncée dans les journaux.

— Et il y vient, muni du consentement de l’empereur, pour demander la main d’une compatriote, d’une parente ; c’est une alliance qui mettra fin à de longues dissensions de famille et qui ajoutera à la fortune du comte celle d’une riche héritière. Mon frère a été, comme moi, prodigue ; et il lui serait difficile sans ce mariage de me rendre le douaire dont il m’est redevable selon la loi.

— Je comprends, dit Randal. Mais comment puis-je contribuer à ce mariage ?

— En nous aidant à découvrir la fiancée. Elle et son père sont réfugiés et cachés en Angleterre.

— Le père, alors, avait sans doute pris part aux conspirations politiques et avait été proscrit ?

— Justement ; et il s’est si bien caché qu’il a jusqu’ici déjoué tous nos efforts pour découvrir sa retraite. Mon frère, en concluant cette alliance, lui obtiendra son pardon.

— Continuez.

— Oh ! Randal ! Randal ! est-ce donc là la franchise de l’amitié ? Vous savez que depuis longtemps j’ai cherché à connaître la retraite de notre compatriote, que je me suis vainement efforcée d’obtenir ce secret de M. Egerton, qui bien certainement le connaît…