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tomber sa tête sur l’épaule de son ami, elle lui dit en sanglotant ; « Je vais vous quitter, mon frère ! ne vous affligez pas ! ne me regrettez pas trop ! »

Harley fut attendri : croisant les bras, il les contempla tous deux en silence ; ses yeux étaient humides. « Ce cœur, pensa-t-il, vaut la peine d’être conquis ! »

Il prit Léonard à part et lui dit tout bas : « Calmez-la et soutenez son courage. Je vous laisse ensemble, vous viendrez plus tard me trouver dans le jardin. »

Il se passa environ une heure avant que Léonard ne vînt rejoindre Harley.

« Elle ne pleurait plus, quand vous l’avez quittée ? demanda L’Estrange.

— Non, elle a eu plus de force que nous ne l’aurions supposé. Dieu sait combien son courage a soutenu le mien. J’ai promis de lui écrire souvent. »

Harley fit deux ou trois pas sur la pelouse, puis revenant vers Léonard, il lui dit :

« Tenez votre promesse, et écrivez-lui souvent la première année, puis, je vous prierai de cesser peu à peu la correspondance.

— La cesser ! Ah, milord !

— Mon jeune ami, je désire faire oublier complètement à cette jeune âme les chagrins du passé. Je désire qu’Hélène entre non pas brusquement, mais pas à pas dans une nouvelle vie. Vous vous aimez maintenant comme deux enfants, comme un frère et une sœur. Mais plus tard, cette affection mutuelle conservera-t-elle toujours le même caractère et ne vaut-il pas mieux pour tous deux que la jeunesse en s’ouvrant pour vous, vous trouve libres et sans engagement prématuré ?

C’est vrai ! Et puis elle est si au-dessus de moi ! dit Léonard avec tristesse.

— Personne n’est au-dessus de celui qui réussit dans les projets que vous avez formés, Léonard. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit, croyez-moi. »

Léonard secoua la tête.

« Peut-être, dit Harley en souriant, peut-être que je vous sens supérieur à moi. Les privilèges de la jeunesse sont si grands ! Peut-être deviendrais-je jaloux de vous ! Il est bon qu’elle apprenne à aimer celui qui désormais doit être son tuteur et son protecteur. Et comment pourrait-elle m’aimer comme elle le doit, tandis que son cœur est plein de vous ? »

Le jeune homme s’inclina. Harley, se hâtant de changer de conversation, lui parla des lettres et de la gloire. Sa parole était éloquente et animée. Car lui aussi, dans sa jeunesse, avait rêvé de célébrité, de gloire, et la jeunesse de Léonard lui semblait faire revivre la sienne. Mais le cœur du poète ne répondait pas à cette voix éloquente ; il paraissait triste et désolé. Quand Léonard s’en retourna à la pâle clarté de la lune, il se disait en lui-même : « C’est étrange !… ce n’est