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lui tenir compagnie ou de l’emmener dans quelque endroit plus gai que son appartement.

— Quoi ! le vieux gentleman lui a donc fait de la morale ? Ô honte ! mais Frank n’est pourtant pas extravagant et il sera un jour très-riche, n’est-ce pas ?

— Immensément riche, dit Randal, et pas une hypothèque sur ses biens : il est fils unique, » ajouta-t-il en s’éloignant.

Les jeunes gens se livrèrent à un colloque des plus bienveillants pour Frank, puis tous se levèrent en même temps et se dirigèrent vers son appartement.

« Le coin est dans l’arbre, se dit Leslie, et il y a déjà une fente entre l’arbre et l’écorce. »


CHAPITRE XIX.

Harley L’Estrange est assis près d’Hélène à la fenêtre du cottage de Norwod. Les couleurs de la santé ont reparu sur les joues de l’enfant, et elle écoute en souriant, car Harley parle de Léonard, et fait son éloge.

« Ainsi, continua-t-il, à l’abri de ses anciennes épreuves, heureux dans son travail, et poursuivant la carrière qu’il a choisie, nous pouvons maintenant le quitter sans crainte, ma chère Hélène.

— Le quitter ! » s’écria Hélène ; et les roses de ses joues s’évanouirent.

Harley vit avec satisfaction l’émotion d’Hélène. Il eût été désappointé de ne pas trouver chez la jeune fille cette sensibilité et cette affection.

« Il doit en effet vous sembler dur, Hélène, dit-il, de vous séparer de celui qui a été pour vous un frère. Ne me haïssez pas parce que j’agis ainsi. Mais je me considère comme votre tuteur, et ma demeure doit être la vôtre. Nous allons quitter ce pays de nuages et de brouillards pour nous diriger vers un monde de soleil et de lumière. Cela ne vous satisfait pas ? Vous pleurez, mon enfant : vous regrettez votre ami, mais n’oubliez pas celui de votre père. Je suis seul et bien souvent triste, Hélène : refuserez-vous de me consoler ? Vous me serrez la main ; mais il faut apprendre à me sourire aussi. Vous êtes née pour consoler. Les consolateurs ne sont pas égoïstes : ils se montrent toujours gais quand ils veulent consoler. »

La voix d’Harley était si douce, ses paroles pénétraient si bien le cœur de la jeune fille, qu’elle leva les yeux et lui sourit, quand il déposa un baiser sur son front innocent. Mais songeant de nouveau à Léonard elle se sentit si isolée et si triste que les larmes jaillirent encore une fois de ses yeux. Ses pleurs n’étaient pas encore séchés que Léonard lui-même entra dans la chambre : Hélène, obéissant à l’irrésistible impulsion de son cœur, s’élança dans ses bras, et laissant re-