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— Je vous crois né pour de grandes choses, dit soudain Harley. Je suis sûr que vous écrirez bien. Je vous ai vu étudier avec passion. Mais, outre le style et la passion de l’étude, vous avez un noble cœur et l’amour de l’indépendance. Donnez-moi vos manuscrits. N’hésitez pas… je ne veux être qu’un lecteur. Je ne prétends pas être un patron ; c’est un mot que je hais. »

Les yeux de Léonard brillèrent à travers les larmes qui étaient venues tout à coup les remplir. Il tira de sa poche son portefeuille, le déposa sur le banc auprès d’Harley, et s’éloigna lentement vers la partie la plus retirée du jardin. Néron l’y suivit doucement, et le jeune homme s’étant assis sur l’herbe, le chien posa sa bonne grosse tête sur le cœur palpitant du poète.

Harley ramassa les différents papiers qu’il avait devant lui et les parcourut à loisir. Il n’était pas un critique. Il n’était pas habitué à analyser ses impressions de plaisir ou de déplaisir ; mais il sentait vivement et son goût était exquis. Pendant cette lecture, sa physionomie mobile exprimait tantôt le doute, tantôt l’admiration.

Harley déposa doucement les papiers sur la table et demeura quelques instants rêveur. Enfin, il se leva et s’approcha de Léonard, dont il contemplait la physionomie avec un nouvel et plus profond intérêt.

« Je vois dans vos ouvrages, dit-il, deux hommes, appartenant à deux mondes essentiellement distincts. »

Léonard tressaillit et murmura tout bas :

« C’est vrai, c’est vrai !

— Je suppose, reprit Harley, qu’il faut ou que l’un de ces hommes détruise l’autre, ou que les deux se fondent et s’harmonisent dans une seule existence. Prenez votre chapeau, montez le cheval de mon groom et venez avec moi à Londres ; nous causerons chemin faisant. Je crois que vous et moi nous sommes d’accord sur ce point que le premier désir de tout noble esprit, c’est l’indépendance. Vous aider à conquérir cette indépendance, voilà la seule chose que je veuille faire pour vous ; et c’est un service que l’homme le plus fier peut recevoir sans rougir. »

Léonard leva sur Harley ses yeux remplis de larmes reconnaissantes ; mais il était trop ému pour pouvoir répondre.

« Je ne suis pas de ceux qui pensent, dit Harley quand ils furent sur la route, qu’un jeune homme, parce qu’il fait des vers, n’est bon à nulle autre chose, et qu’il doit nécessairement être poète ou mendiant. Comme je vous le disais, il me semble qu’il y a en vous deux hommes, l’homme pratique et l’homme de l’idéal. À chacun de ces hommes, je puis offrir une carrière. La première est peut être la plus séduisante. Il est de l’intérêt de l’État d’attirer à son service tous les talents et toutes les forces ; et tout citoyen dans un pays libre doit être fier de servir sa patrie. J’ai un ami qui est ministre, et qui est connu pour encourager les jeunes talents, Audley Egerton. Je n’ai qu’à lui dire : « Il y a un jeune homme qui récompenserait amplement le gouvernement de ce que celui-ci ferait pour lui, » et demain vous vous