Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/318

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et la paisible étoile du soir, ses grossières habitudes reprenaient le dessus, et de son pas titubant, fanfaron et insouciant, il retournait à ces orgies, où son esprit gaspillé en pure perte n’étincelait un moment que pour s’éteindre bientôt honteusement.


CHAPITRE VI.

Hélène était plongée dans une profonde tristesse, Léonard était allé la voir trois ou quatre fois, et chaque fois elle avait vu en lui un changement propre à exciter toutes ses craintes. Il paraissait, il est vrai, plus habile, plus prudent, plus habitué aux usages du monde, plus fait peut-être pour marcher dans les rudes sentiers de la vie ; mais aussi sa fraîcheur et sa jeunesse s’évanouissaient graduellement. Ses aspirations retombaient vers la terre.

Hélène pâlit et frissonna quand Léonard lui parla de Burley, quand elle apprit qu’il passait les jours et presque les nuits dans une société qui, selon elle, n’était guère propre à l’aguerrir aux luttes quotidiennes, ni à l’aider à vaincre ses tentations. Elle gémit lorsque, l’ayant questionné au sujet de sa situation pécuniaire, elle vit que la terreur que lui causaient autrefois les dettes s’évanouissait, et que les solides et salutaires principes qu’il avait reçus au village l’abandonnaient. Il est vrai que sous tous ces défauts perçait quelque chose qu’une personne plus sage et plus expérimentée qu’Hélène aurait salué comme une espérance d’avenir ; ce quelque chose était la douleur, une douleur sublime de sa déchéance sentie, de son impuissance contre la destinée qu’il avait provoquée et ambitionnée. Tout ce qu’il y avait de grand dans cette douleur, Hélène ne pouvait le comprendre ; elle vit seulement que Léonard était malheureux et elle s’en affligea et excusa toutes ses fautes. Elle en devint plus désireuse de le consoler, afin de pouvoir le sauver. Dès le jour où Léonard s’était écrié : « Ah ! Hélène, pourquoi m’avez-vous quitté ! » elle avait conçu le projet de retourner près de lui ; mais quand le jeune homme, dans sa dernière visite, lui eut dit que Burley, persécuté par ses créanciers, se préparait à fuir son logement pour venir habiter dans la chambre qu’elle avait laissée vacante, toutes ses hésitations cessèrent. Elle résolut de sacrifier l’asile qui lui était assuré, d’aller retrouver Léonard, de partager ses embarras, ses luttes, mais de préserver cette ancienne chambre, où elle avait prié Dieu pour lui, de la présence du tentateur dangereux. Serait-elle un fardeau pour lui ? Non. Elle avait bien su assister son père par une foule de petites ressources ordinaires aux femmes, par des travaux d’aiguille et de fantaisie ; elle avait perfectionné ses talents pendant son séjour chez miss Starke ; elle pourrait fournir son