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CHAPITRE III.

Léonard et Burley se dirigèrent vers les faubourgs ; M. Burley s’offrit à procurer à Léonard de l’occupation littéraire, et cette offre fut avidement acceptée.

Ils arrivèrent dans une taverne située sur un des côtés de la route. Burley demanda un cabinet particulier, une plume, de l’encre et du papier ; mettant tout cela devant Léonard, il lui dit :

« Écrivez en prose ce qu’il vous plaira, remplissez cinq feuilles de papier à lettre à raison de vingt-deux lignes par page, ni plus ni moins.

— Je ne puis pas écrire ainsi.

— Bah ! songez qu’il s’agit de gagner du pain. »

La figure du jeune homme devint pourpre.

« Il faut que j’oublie cela, dit-il.

— Il y a un berceau dans le jardin, sous un saule pleureur, reprit Burley. Allez-y et tâchez de vous croire en Arcadie. »

Léonard fut trop heureux d’obéir. Il découvrit le petit berceau au bout d’un gazon abandonné. Tout était silencieux ; la haie cachait la vue de la taverne ; le soleil dardait ses chauds rayons sur l’herbe et pénétrait agréablement à travers le feuillage du saule ; ce fut là que Léonard écrivit son premier essai comme auteur de profession. Qu’écrivit il ? ses rêves de Londres ? quelque anathème sur les rues de cette cité, au cœur de marbre ? des murmures contre la pauvreté ? de sombres élégies sur la destinée ?

Oh non ! vous connaissez mal le génie, si vous m’adressez de semblables questions, ou si vous croyez que, sous ce saule pleureur, il se souvint qu’il travaillait pour gagner du pain, si vous croyez enfin que le soleil n’éclairait pour lui que les objets vulgaires et sordides qui l’entouraient. Léonard écrivit un conte de fée… l’un des plus gracieux qui se puisse imaginer, avec un enjouement mêlé de délicatesse et dans un style nourri de toutes les ressources d’une heureuse et féconde imagination. Il sourit en écrivant le dernier mot ; il était heureux. Une heure s’était déjà écoulée, lorsque Burley vint à lui et le trouva avec ce sourire sur les lèvres.

Burley tenait un verre de grog à la main. C’était son troisième. Il souriait aussi. Il lut le manuscrit à haute voix. Il se montra prodigue de compliments envers Léonard.

« Vous irez loin, dit-il en lui frappant sur l’épaule, quelque jour, peut-être, vous attraperez ma perche borgne. »

Là-dessus, il plia le manuscrit, griffonna une note, mit le tout sous enveloppe ; puis tous deux rentrèrent à Londres.