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Léonard ne fut nullement frappé d’admiration ; et cependant, avec un peu d’argent et de goût, il serait facile de rendre cette entrée de Londres aussi belle et aussi imposante que celle de Paris par les Champs-Élysées. Aux approches d’Edgeware-Road, Hélène prit son frère d’adoption par la main pour le guider, car tout ce quartier lui était familier, et elle connaissait une maison meublée proche de celle qu’avait occupée son père, où ils pourraient se loger à bon marché. Pour rien au monde elle n’eût voulu retourner dans son ancien logement.

En ce moment le ciel, sombre et couvert depuis le matin, fut complètement obscurci par de gros nuages noirs. Un violent orage éclata : la pluie tomba par torrents. Le jeune homme et l’enfant trouvèrent un abri sous un vaste hangar, dans une rue qui traversait Edgeware-Road. Bientôt le hangar fut encombré de monde, et les deux jeunes voyageurs se serrèrent le long du mur, loin de la foule ; Léonard avait passé son bras autour de la taille d’Hélène, et cherchait à la garantir de la pluie, qui, poussée par le vent, arrivait jusqu’à eux, lorsqu’un jeune homme, d’une mise plus recherchée que celle des autres personnes rassemblées sous le hangar, vint s’y réfugier à son tour. Il lança sur le groupe un regard quelque peu hautain, passa près de Léonard, ôta son chapeau et le secoua. Son visage étant ainsi découvert, le jeune paysan reconnut, au premier coup d’œil, son ancien vainqueur sur la place d’Hazeldean.

Cependant Randal Leslie était changé. Sa figure brune était aussi maigre que lorsqu’il était enfant, et elle portait les traces d’un travail opiniâtre et de nuits sans sommeil ; mais l’expression de son visage était à la fois plus calme et plus virile, et il y avait dans son œil cette étincelle brillante que l’on remarque dans les yeux de ceux qui dirigent toutes leurs pensées vers un seul but. Il paraissait plus âgé qu’il n’était. Il était entièrement habillé de noir, couleur qui lui allait à merveille, et sa tournure et son visage, sans être remarquables, étaient certainement distingués.

Mais tout à coup le groupe s’agite, se pousse ; on se coudoie, on se presse contre les murs, car un cheval fringant s’est élancé sous le hangar. Le cavalier, beau jeune homme mis avec cette recherche qui indique un dandy, s’écrie d’un ton de bonne humeur : « Ne craignez rien, le cheval ne fera pas de mal à personne… Mille pardons…. Allons ! là !… là !… » et le cheval demeura immobile comme une statue, remplissant le centre du passage. On se rassura, et Randal s’approcha du cavalier.

« Frank Hazeldean !

— Ah ! Randal Leslie ! »

Frank sauta aussitôt à bas de son cheval, dont il confia la bride aux mains d’un apprenti qui portait un paquet.

« Mon cher ami, que je suis bien aise de vous rencontrer ! Quelle bonne idée j’ai eue de me réfugier ici, moi qui ordinairement n’ai guère peur d’une averse. Vous êtes donc à Londres, Randal ?

— Oui, chez votre oncle M. Egerton. J’ai quitté Oxford.