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ment. Léonard, suivez-moi et venez m’aider à donner une explication à nos hôtes. »

Léonard ne bougea pas et secoua la tête.

« Qu’est ce que cela signifie, monsieur ? dit Richard Avenel avec emportement. Vous secouez la tête ! Avez-vous l’intention de me désobéir ? Vous ferez bien d’y prendre garde ! »

Léonard releva la tête, passa un bras autour de sa mère et répondit :

« Monsieur, vous avez été bon et généreux pour moi, et cette pensée seule a pu imposer silence à mon indignation quand vous avez parlé si grossièrement à ma mère ; je sentais que si je parlais j’irais trop loin. Maintenant, je vous dirai en peu de mots que…

— Silence, enfant ! dit la pauvre mistress Fairfield épouvantée. Ne t’occupe pas de moi. Je ne suis pas venue pour te faire tort et briser ton avenir. Je pars !…

— Voulez-vous lui demander pardon, monsieur Avenel ? » dit Léonard avec fermeté, et il fit un pas vers son oncle.

Richard, naturellement impétueux et impatient de toute contradiction, était en ce moment surexcité, non-seulement par les émotions violentes qu’un homme cruellement mortifié dans tout l’enivrement du triomphe doit éprouver, mais encore par le vin qu’il avait bu en plus grande quantité que de coutume. Aussi quand Léonard s’approcha de lui, il prit le mouvement de son neveu pour une menace et leva le bras.

« Faites un pas, dit-il entre ses dents, et je vous assomme ! » Léonard avança : son regard exprimait non le défi ni la menace, mais une hardiesse et une fermeté que Richard ne put méconnaître ; il éprouva même un sentiment de respect, car ce regard était celui d’un homme libre, et il laissa retomber son bras.

« Vous ne pouvez me frapper, monsieur Avenel, dit Léonard, car vous savez que je ne pourrais frapper à mon tour le frère de ma mère. Comme son fils, je vous dis encore une fois : Demandez-lui pardon.

— Mille tonnerres ! êtes-vous fou ou avez-vous juré de me rendre fou ? Vous, misérable insolent, nourri et vêtu par ma charité ! Lui demander pardon !… de quoi ? De ce qu’elle m’a rendu l’objet des railleries de tous avec sa robe de cotonnade et ses souliers ferrés ! Écoutez-moi bien, monsieur. J’ai été insulté par elle, mais je n’entends pas être menacé par vous. Venez avec moi à l’instant même ou je vous chasse, et tant que je vivrai vous ne recevrez pas un shilling de moi. Choisissez… être un paysan, un laboureur ou…

— Un misérable renégat de la tendresse filiale… un vil mendiant ! s’écria Léonard la poitrine soulevée et les joues en feu. Ma mère, ma mère, sortons d’ici. Ne craignez rien… Je suis jeune et vigoureux et nous travaillerons comme auparavant… »

Mais la pauvre mistress Fairfield, accablée, s’était laissée tomber sur le fauteuil de maroquin de Richard et ne pouvait ni parler ni remuer.

« Que le ciel vous confonde tous deux ! murmura Richard. Il ne