Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/241

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

formés, parvint aux oreilles de Richard Avenel un son étrange et confus, de sinistre augure. C’était comme un rire général, un rire sourd mais plein de malignité. Mistress M’Catchley, ouvrant son ombrelle, s’écria : « Mon Dieu, monsieur Avenel, qu’est-ce donc que ce bruit ? »

Richard prononçant tout à coup une sorte de juron et devinant qu’il se passait quelque chose qu’il ne serait pas agréable de faire connaître à mistress M’Catchley, dit brusquement : « Excusez-moi, je vais aller voir ce que c’est ; attendez-moi, je vous prie. »

Et s’élançant en avant, il fut bientôt au milieu du groupe. Les invités s’écartèrent de la façon la plus obligeante pour le laisser passer.

« Mais qu’y a-t-il donc ? » demanda-t-il avec impatience mais non sans alarme. Aucune voix ne lui répondit. Il continua d’avancer et aperçut son neveu dans les bras d’une femme. « Que Dieu me vienne en aide ! » s’écria Richard Avenel.


CHAPITRE XXXVI.

Et quelle femme !

Vêtue d’une robe de cotonnade, très-propre à la vérité, mais qui eût convenu à une servante subalterne ; puis quels souliers !… Sur sa tête un petit chapeau de paille noir, et au lieu de châle un mouchoir qui pouvait valoir vingt sous était croisé sur son corsage. Sans doute elle avait l’air fort honnête, mais comme elle était couverte de poussière ! Elle était pendue au cou de Léonard, le grondant, le caressant et sanglotant tout haut.

« Que Dieu me soit en aide ! » s’écria Richard.

Tandis qu’il proférait cette innocente prière, la femme se retourna vivement, et quittant Léonard, elle s’élança droit vers Richard en poussant un grand cri et en enveloppant dans un long embrassement habit bleu, rose mousseuse, gilet blanc et le reste…. « Oh ! frère Dick ? cher, cher frère Dick ! je te revois donc enfin ! » et ce furent deux gros baisers qu’on eût entendus d’une lieue. La situation du frère Dick était embarrassante ; la foule qui s’était d’abord retirée poliment ne put résister à l’effet de cet embrassement. Ce fut une explosion d’hilarité générale ! Une telle explosion aurait tué un homme d’un caractère faible, mais elle retentit dans le cœur vaillant de Richard Avenel comme le défi d’un ennemi et fit surgir en lui, insoucieux de toutes les conventions du monde, le courage naturel à l’Anglo-Saxon.

Il releva vivement sa belle tête mâle, et regardant le cercle de ses visiteurs malappris d’un air de fierté étonnée :

« Messieurs et mesdames, dit-il très-froidement, je ne vois pas ce qui peut vous faire rire. Un frère et une sœur se retrouvent après