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M. Digby ne dit pas un mot ; il voulut se soustraire à l’étreinte du colonel, mais en vain ; son visage pâlissait et rougissait tour à tour, et on voyait que dans ce corps amaigri le sang d’un soldat bouillonnait encore.

Le colonel était arrivé à une petite porte pratiquée dans le mur du jardin ; il l’ouvrit et jeta son cousin dehors. Il regarda dans la rue, qui était longue, resserrée, étroite, et voyant qu’elle était solitaire, il jeta les yeux sur le malheureux qu’il venait de chasser. Un remords traversa son cœur. Un moment, la plus sordide de toutes les avarices, celle de l’homme du monde, sembla se relâcher ; un moment, la plus intolérante de toutes les vanités, celle qui se base sur de fausses prétentions, se tut, et le colonel, tirant précipitamment sa bourse :

« Tenez, dit-il à Digby, voici tout ce que je puis faire pour vous. Quittez la ville le plus promptement possible, et ne dites votre nom à personne. Votre père était un homme si respectable ! un ecclésiastique !…

— Et qui a payé votre brevet, monsieur Pompley ? Mon nom, je n’en rougis pas, moi. Mais ne craignez pas que j’invoque la moindre parenté entre vous et moi ; non, car c’est de vous que je rougis ! »

Le cousin, malgré sa pauvreté, repoussa d’une main dédaigneuse la bourse qu’on lui tendait toujours, et descendit la rue d’un pas ferme.

Le colonel Pompley demeura irrésolu. En ce moment, une fenêtre de la maison s’ouvrit ; il entendit du bruit, se retourna, et vit sa femme qui regardait.

Le colonel Pompley rentra en se faufilant à travers les taillis, et en se cachant parmi les arbres.


CHAPITRE XXVIII.

L’illustre cardinal de Richelieu a dit : « La mauvaise chance n’est que de la bêtise ; » et après tout, je crains bien que Son Éminence n’ait eu raison. Laissez tomber Richard Avenel et M. Digby, au milieu d’Oxford-Street : Richard en gilet de futaine, Digby en habit de drap fin, Richard avec cinq shillings dans sa poche, Digby avec mille livres : au bout de dix ans, regardez ces deux hommes. Richard sera sur le chemin de la fortune, et Digby… ce que nous l’avons vu. Et cependant Digby n’avait pas de vices ; il ne buvait ni ne jouait. D’où provenait donc le mal ?

Il était fils unique, faible et sans courage. Enfant gâté, il avait été élevé comme un gentleman, c’est-à-dire comme un homme qui espère ne devoir jamais rien faire d’utile. Il entra, comme nous l’avons vu, dans un régiment très-coûteux, où il se trouva à la