Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/211

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui n’était pas ordinaire à ce visage ferme et accentué. Ces deux hommes différaient au physique autant que le lecteur a dû voir qu’ils différaient au moral. Tout chez Egerton était roide et ferme ; tout, au contraire, chez lord L’Estrange était nonchalance et laisser aller. Harley, dans toutes les poses qu’il prenait, avait la grâce insouciante d’un enfant. La mode même, qu’il avait adoptée pour ses vêtements, prouvait qu’il avait la contrainte en horreur. Ses habits étaient larges ; sa cravate, négligemment nouée, laissait paraître à nu la moitié de son cou. Il était facile de voir qu’il avait beaucoup vécu dans les pays chauds et méridionaux et qu’il y avait contracté l’habitude de mépriser tout ce qui est conventionnel ; dans son accoutrement comme dans son langage, il n’y avait rien de la raideur cérémonieuse des habitants du Nord. Il n’avait que trois ou quatre ans de moins qu’Audley, et cependant on eût cru qu’il y avait entre eux une différence d’au moins douze ans. En réalité, c’était un de ces hommes qui semblent ne devoir jamais vieillir ; la voix, le regard, la figure, tout chez lui avait le charme de la jeunesse ; peut-être était-ce à cause de cet air de jeunesse qu’il conservait toujours, que ni ses parents ni ses quelques amis intimes ne l’appelaient jamais par son titre, dans leurs rapports quotidiens ; en tout cas, c’était une marque de la sorte d’affection qu’il inspirait. Pour eux il n’était pas lord L’Estrange, il était Harley, et c’est sous son nom de baptême que je le désignerai désormais. Ce n’était pas un de ces hommes que l’auteur ou le lecteur ne désire voir qu’à distance et dont on ne se souvient que sous le nom de milord ; lui-même se rappelait si rarement ce titre ! On avait dit spirituellement de lui : Il est si naturel que tout le monde dit qu’il est affecté. Harley L’Estrange n’avait pas une beauté aussi dangereuse qu’Audley Egerton ; un observateur ordinaire aurait simplement dit de lui qu’il était agréable ; mais les femmes disaient qu’il avait une belle physionomie et elles n’avaient pas tort. Au lieu de porter des favoris comme les Anglais, il portait la moustache comme les étrangers ; il était délicat sans être efféminé ; mais dans son œil d’un gris limpide, se lisait une singulière virilité. Un physiologiste habile eût compris par ce seul regard tout ce qu’il y avait d’exceptionnel dans cette riche nature.

« Votre légation de Florence n’était donc qu’une pure plaisanterie ? dit Audley, rompant un long silence. Vous n’avez donc pas encore l’intention d’entrer dans la vie publique ?

— Non.

— J’avais espéré mieux de vous, lorsque vous m’avez fait la promesse de venir passer une saison à Londres. Mais vous avez accompli la lettre de votre promesse et non pas l’esprit. Je ne pouvais pas supposer que vous fuiriez toute société et que vous vivriez en ermite ici comme sous les vignes de Côme.

— Je me suis assis dans la galerie des étrangers, et j’ai entendu vos grands orateurs ; je suis allé au parterre de l’Opéra, et j’ai vu vos belles dames ; j’ai flâné dans vos parcs : eh bien ! je déclare qu’il