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— Elle gagne sa vie ; elle est pauvre, mais contente.

— Eh bien ! ayez la bonté de lui remettre ceci, (et Richard tira de sa poche un billet de banque de cinquante livres.) Vous pouvez lui dire que ce sont ses parents qui le lui envoient, ou bien que c’est un cadeau de Richard, sans lui dire que je suis revenu d’Amérique.

— Cher monsieur, dit Je curé, je remercie de plus en plus le ciel de m’avoir fait faire votre connaissance. Vous envoyez là un généreux présent ; mais le mieux serait de le faire parvenir à Jeanne par l’entremise de madame votre mère. Car bien que je ne sois pas obligé de révéler la confiance que vous avez mise en moi, je ne saurais que répondre à mistress Fairfield, si elle me faisait des questions sur son frère. Je n’ai jamais eu qu’un secret à garder, et je désire n’en avoir jamais d’autre. Le secret est bien voisin du mensonge !

— On vous a donc confié un secret, dit Richard, en reprenant le billet de banque. Il avait appris, en Amérique peut-être, à être très-curieux, Aussi, sans autre circonlocution, il dit à M. Dale : Quel est ce secret, je vous prie ?

— Mais ce n’en serait plus un, si je vous le disais, répondit le curé avec un rire contraint.

— Eh bien ! soit, nous sommes dans un pays de liberté. Faites ce que bon vous semble. Maintenant, vous devez me trouver bien singulier de sortir ainsi de ma coquille pour venir me jeter brusquement à votre tête, mais votre figure m’a plu, même quand nous étions tous les deux à l’auberge. J’ai été singulièrement charmé de voir que, tout curé que vous êtes, vous ne forcez pas les gens à baisser le nez quand ils se sentent bons à quelque chose. Vous n’êtes pas de ces aristocrates…

— Ah ! dit le curé avec une imprudente ardeur, ce n’est pas le caractère de notre aristocratie, d’empêcher les gens de s’élever. Elle ouvre ses rangs à tout homme, quelle que soit sa naissance, qui a assez de talent et d’énergie pour monter à son niveau. Voilà ce dont à juste titre peut se glorifier la constitution anglaise, monsieur.

— Ah ! ah ! c’est là votre opinion, dit Richard, en lançant au curé un regard malveillant. Ce sont sans doute là les idées dans lesquelles vous avez élevé l’enfant. Eh bien ! gardez-le et que votre aristocratie se charge de lui ! »

Ces paroles glacèrent tout d’un coup la généreuse et patriotique chaleur de notre brave curé. Il s’aperçut qu’il avait fait fausse route ; et comme en ce moment, l’important pour lui n’était pas de défendre la constitution anglaise, mais de servir Léonard Fairfield, il déserta la cause de l’aristocratie avec la plus scandaleuse couardise. Saisissant le bras que M. Avenel venait de retirer, il s’écria :

« Mais, monsieur, vous ne m’avez pas compris. Je n’ai jamais cherché à influencer les opinions politiques de votre neveu. Au contraire, s’il est possible d’avoir des opinions à son âge, je crains bien… c’est-à-dire je crois bien que ses opinions ne sont pas du tout bonnes… non, pas du tout constitutionnelles, veux-je dire.