Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son caractère ; il accepta, disons-nous, cette condition, mais sans empressement. Son front se rembrunit. Le curé se hâta de le rassurer : il lui dit que le squire n’était pas un homme qui stupet in titulis (infatué des titres honorifiques). Jamais il n’avait espéré, ni même désiré trouver dans son beau-frère une origine ou un rang au-dessus de cette décente médiocrité à laquelle Riccabocca, par son éducation et ses qualités, pouvait facilement prétendre. Et, ajouta M. Dale en souriant, le squire est sans doute ardent quant à la politique nationale : je crois qu’il ne reverrait jamais sa sœur si elle épousait un ennemi de notre constitution ; mais il ne se soucie pas le moins du monde de la politique étrangère, et si, comme je le présume, votre exil ne vient que de quelque démêlé avec votre gouvernement, vous ne serez après tout à ses yeux que ce que serait un Saxon échappé à la main de fer de Guillaume le Conquérant, ou un Lancastrien proscrit par les yorkistes dans nos guerres des deux roses.

L’Italien sourit.

« M. Hazeldean sera satisfait, dit-il avec simplicité. J’ai lu dans le journal qu’un Anglais, qui m’a connu dans mon pays, vient d’arriver à Londres. Je vais le prier de vouloir bien témoigner au moins de ma probité et de ma bonne réputation ; probablement, son nom vous est connu : car c’est un officier qui s’est distingué dans la dernière guerre : je veux parler de lord L’Estrange. »

Le curé tressaillit.

« Vous connaissez lord L’Estrange : mais c’est un dissipateur, un libertin 1

— Un libertin ! s’écria Riccabocca. Si méchant que soit le monde, je n’aurais jamais cru que de pareilles épithètes pussent s’appliquer à un homme, qui m’est peu connu à la vérité, car je ne l’ai connu qu’à l’occasion d’un service qu’il m’a rendu autrefois, mais qui m’a appris le premier à aimer et à révérer le nom anglais.

— Il se peut qu’liait changé depuis… Ici le curé s’arrêta.

— Depuis quoi ? » demanda Riccabocca avec une curiosité visible.

M. Dale parut embarrassé.

« Excusez-moi, dit-il, il y a bien des années de cela : l’opinion que je me suis faite de lord L’Estrange se rattache à des circonstances que je ne puis rapporter. »

Le discret Italien s’inclina sans rien dire : mais on voyait qu’il brûlait du désir de continuer ses questions.

Après un moment de silence, il dit au curé : « Quelles que soient vos impressions au sujet de lord L’Estrange, il n’y a rien, je suppose, dans sa conduite qui ait pu vous faire douter de son honneur et diminuer l’autorité d’un témoignage qu’il croirait pouvoir donner en ma faveur ?

— Quant à sa moralité d’homme du monde, dit M. Dale en appuyant sur ces mots, je ne sais rien qui puisse me faire supposer que lord L’Estrange, en cette circonstance ne voulût point dire la vérité.