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fioence. Liebenfels eut l’impertinence d’envoyer à lady Castleton un bouquet de fleurs rares, très à la mode en ce moment. Mais, une heure avant qu’elle la reçût, Castleton avait rempli son balcon des mêmes précieuses exotiques, comme étant trop communes pour en faire des bouquets et ne méritant de fleurir qu’un jour pour sa femme. Si jeune et si accompli que fût Leibenfels, Castleton l’éclipsa par la grâce de ses manières, et se moqua de lui très-spirituellement. Il trama de petits complots pour ridiculiser sa moustache et sa guitare ; il l’entraîna à une chasse au chevreuil, quoiqu’il n’eût pas chassé lui-même depuis sa trentième année, et il eut l’avantage de le tirer, maugréant ses jurons allemands, du milieu d’un fossé bourbeux. Bref, il le rendit la risée des clubs et le mit tout à fait hors de mode ; et tout cela avec une supériorité si pleine de douceur, que c’était bien la plus ravissante comédie qu’on pût voir. Le pauvre prince s’en retourna la figure aussi triste que Don Quichotte. Castleton s’est proposé comme but de son existence, comme chef-d’œuvre de son art, de faire le bonheur de sa femme et de s’assurer l’entière possession de son cœur. Les deux ou trois premières années lui ont, je crois, causé plus de soucis qu’homme n’en eut jamais au sujet de sa femme ; mais à présent il peut se reposer : lady Castleton est conquise, et pour toujours. »

Quand mon monsieur cessa de parler, la noble tête de lord Castleton s’éleva au-dessus du groupe qui l’entourait, et je vis lady Castleton se détourner avec ennui d’un beau jeune fat qui avait affecté de baisser la voix en lui parlant. Lorsqu’elle rencontra le regard de son mari, il se dessina sur ses traits un sourire de si tendre affection, elle me parut si heureuse et si fière de lui appartenir, que j’y vis la confirmation de ces paroles : Lady Castleton est conquise, et conquise pour toujours.

Oui, cette histoire augmenta mon admiration pour lord Castleton ; elle me montra avec quel sérieux sentiment de sa responsabilité il avait entrepris de conduire un caractère non encore développé ; cela le justifiait du reproche de légèreté qu’on avait fait à Sedley Beaudésert. Je me sentis plus content que jamais de ce que cette tâche fût dévolue à un homme que son caractère et son expérience rendaient si capable de la remplir. Ce prince allemand m’avait fait trembler de sympathie pour le mari, et j’avais éprouvé une sorte de frisson en son-