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de jeunesse ! Fanny serait malheureuse avec vous. Peut-être ne le pense-t-elle pas à présent ; elle le penserait dans cinq ans d’ici. Fanny fera une admirable duchesse, une comtesse, une grande dame ; mais la femme d’un homme qui lui devrait tout !… Non, non, n’entretenez pas cette illusion. Je ne sacrifierai pas son bonheur, soyez-en assuré. Je vous parle franchement, comme un homme à un homme, comme un homme du monde à un homme qui ne fait que d’y entrer, c’est vrai ; mais c’est toujours comme un homme à un homme. Eh bien, que dites-vous ?

— Je méditerai vos paroles. Je sais que vous me parlez avec la plus grande bienveillance, comme parlerait un père. Maintenant, laissez-moi partir, et que Dieu vous protège, vous et les vôtres !

— Partez… je vous souhaite la même protection. Partez. Je ne vous ferai pas à présent mes offres de service ; mais rappelez-vous que vous avez des droits à ces services, de toute manière et en toute occasion… Arrêtez ; emportez avec vous cette consolation… consolation triste aujourd’hui, mais qui sera bien grande plus tard. Dans une position qui eût pu exciter ma colère, mon dédain, ma pitié, vous avez excité l’admiration d’un homme au cœur froid. Vous, un enfant, vous m’avez fait, à moi dont les cheveux grisonnent, avoir meilleure opinion du monde. Dites cela à votre père. »

Je fermai la porte et sortis doucement, doucement ; mais, lorsque j’arrivai dans le vestibule, Fanny ouvrit tout à coup la porte de la salle à manger. Son regard, son geste m’invitaient à entrer. Sa figure était très-pâle, et on voyait en ses yeux des traces de larmes.

Je m’arrêtai un moment ; mon cœur battait avec violence. Puis je murmurai quelque chose d’inarticulé, et, après un salut profond, je gagnai vivement la porte.

Je crus, mais mes oreilles me trompaient peut-être, je crus entendre mon nom ; heureusement le gigantesque portier se leva du fauteuil de cuir où il lisait le journal, et la porte s’ouvrit. Je rejoignis mon père.

« Tout est fini, lui dis-je avec un courageux sourire. Et maintenant, mon cher père, je sens la reconnaissance que je vous dois pour ce que vos préceptes et votre vie m’ont appris ; car, croyez-moi, je ne suis pas malheureux. »