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une phrase qui pût chauffer le cœur ; il est vrai qu’il n’y en avait pas non plus qui pût blesser l’oreille. Il avait une horreur si grande du vulgarisme, que, comme Canning, il eût employé une périphrase d’une couple de lignes pour éviter de se servir du mot chat. Ce n’était que dans ses improvisations qu’un rayon de son vrai génie pouvait se trahir. On s’imagine quel travail un tel super-raffinement de goût infligeait à un homme écrivant dans une langue qui n’était pas la sienne, et s’adressant à un homme d’État distingué, ou à quelque corps littéraire ; d’autant plus qu’il savait assez de cette langue pour sentir toutes les élégances naturelles qu’il ne pouvait atteindre.

Trévanion s’occupait alors d’un document statistique, qu’il se proposait de communiquer à une société de Copenhague, dont il était membre honoraire. Depuis trois semaines ce document était le tourment de toute la maison, surtout de la pauvre Fanny, qui savait mieux le français que nous deux. Mais Trévanion avait trouvé sa phraséologie trop mignarde, trop efféminée, et sentant le boudoir. C’était donc là une occasion de présenter mon nouvel ami et de mettre à l’épreuve le talent que je lui croyais. En conséquence j’arrivai, non sans hésitation, à parler des Remarques sur les trésors des mines de la Grande-Bretagne et de l’Irlande (c’était le titre de l’ouvrage qui devait éclairer les savants, du Danemark), et, au moyen de certaines circonlocutions ingénieuses, connues de tous les solliciteurs capables, j’insinuai que j’avais fait la connaissance d’un jeune homme qui possédait intimement la langue française, et qui pourrait être très-utile pour revoir le manuscrit. Je connaissais assez Trévanion pour sentir que je ne pouvais lui révéler les circonstances au milieu desquelles cette connaissance s’était faite, car il était beaucoup trop patricien pour ne pas s’emporter à l’idée de soumettre une œuvre aussi classique à un garnement aussi mal famé. Mais Trévanion, dont l’esprit était alors farci de mille autres choses, saisit ma suggestion sans me faire subir un interrogatoire très-rigoureux, et me confia le manuscrit avant de quitter Londres. « Mon ami est pauvre, dis-je timidement.

— Oh ! quant à cela, s’écria aussitôt Trévanion, s’il s’agit de charité, je mets ma bourse entre vos mains ; mais ne mettez pas mon manuscrit entre les siennes ! S’il s’agit d’affaire, c’est