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sous une vaste tente, et danser le soir. Les serres chaudes allaient prodiguer leurs premières fraises ; et les vaches, décorées de rubans bleus, allaient fournir des syllabubs[1]. Les plaisirs de ce genre avaient peu d’attraits pour l’élégante Caroline. Elle condescendit à paraître au dîner ; elle embrassa les plus jolis enfants, leur servit de la soupe, et puis, s’étant acquittée de son devoir, elle se retira dans sa chambre, pour écrire des lettres. Les enfants n’en furent pas fâchés, car la majestueuse demoiselle leur inspirait un peu d’effroi ; et ils rirent bien plus fort, et firent beaucoup plus de bruit, lorsqu’elle fut partie, et que les gâteaux firent leur apparition, accompagnés des fraises.

Éveline était dans son élément. Quand elle était petite, elle s’était fort peu mêlée à la société d’autres enfants, quoiqu’elle eût bien souvent soupiré après des camarades de jeu. Elle était restée fort enfant de caractère. D’ailleurs elle aimait tendrement Cécile. Elle avait donc attendu ce grand jour avec une innocente joie ; et la semaine précédente elle s’était fait conduire en voiture à la ville voisine, d’où elle avait rapporté un panier plein de jouets, de poupées, de rubans et de gravures, qu’elle avait soigneusement caché à tous les yeux. Mais, par je ne sais quel hasard, elle ne se sentait pas si enfant que de coutume, ce matin-là ; son cœur ne prenait pas part au plaisir qu’elle avait sous les yeux, et son sourire commença par être languissant. Mais il y a quelque chose de contagieux dans la gaîté des enfants, pour ceux qui les aiment ; et lorsque la troupe joyeuse s’éparpilla sur la pelouse, et qu’ayant ouvert le panier, Éveline commanda aux enfants, avec beaucoup de gravité, de se tenir tranquilles et d’être sages, elle était bien la plus heureuse de toute la bande. Mais elle savait comment s’y prendre pour faire des heureux, et elle offrit le panier à Cécile, afin que la petite reine de ce jour pût savourer la jouissance de se montrer généreuse. Pour empêcher toute jalousie, on eut recours à l’ingénieux expédient d’une loterie.

« Alors ce sera Éveline qui jouera le rôle de la Fortune ! s’écria Cécile ; personne ne se plaindra de recevoir quelque chose de ses mains ; et s’il y a des mécontents, Éveline ne les embrassera pas. »

Mistress Merton, dont Éveline avait complètement gagné

  1. Espèce de boisson composée de vin de Madère et de lait chaud.