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Le chant s’arrêta. Maltravers soupira, changea de posture, et son regard tomba sur l’intendant qui tenait le bouton de la porte.

« Dois-je m’acquitter de votre message, monsieur ? dit gravement M. Justis.

— Non !… seulement soyez plus soigneux à l’avenir. Laissez-moi, maintenant. »

M. Justis s’inclina, et fort content d’en être quitte à si bon marché, il s’éloigna à toutes jambes.

« Voyez un peu, pensait-il, en s’en allant ; comme les pays étrangers gâtent les gentilshommes ! Dire qu’il était si doux autrefois ! Je vois qu’il faut me hâter de débrouiller mes comptes ! Le patron n’est pas endurant ! »

Au moment où elle achevait sa romance, Éveline, dont tout le charme en chantant venait de ce qu’elle chantait avec son cœur, fut si émue par la mélancolie de l’air et des paroles que la voix lui manqua, et que le dernier vers s’éteignit sur ses lèvres.

Les enfants se levèrent spontanément et coururent l’embrasser.

« Oh ! s’écria Cécile, voici le beau paon ! »

Et, en effet, l’oiseau pittoresque était monté sur les marches du perron, attiré peut-être par la musique. Les enfants sortirent en courant pour caresser leur ancien favori qui était fort privé. Bientôt Cécile revint.

« Oh ! Caroline, venez donc voir les beaux chevaux qui remontent le parc ! »

Caroline, qui était bonne écuyère, qui aimait les chevaux, et dont la curiosité était facilement éveillée par tout ce qui annonçait le faste ou le haut rang, se laissa entraîner dans le jardin par sa petite sœur. Deux grooms, montés chacun sur un cheval arabe pur-sang, et conduisant par la bride un autre cheval semblable enveloppé de bandages, remontaient lentement la route. Caroline, frappée par l’apparition insolite de ces animaux dans un lieu aussi désert, suivit les enfants qui se dirigeaient en courant du côté des chevaux, afin d’apprendre quel en pouvait être l’heureux propriétaire. Éveline, oubliée pour le moment, resta seule. Elle en fut bien aise, et elle se tourna de nouveau vers la peinture qui l’avait si fort intéressée auparavant. Les yeux caressants du portrait se fixaient sur elle avec une expression qui lui rappelait le regard de sa mère.

« Et cette femme charmante, pensait-elle en contemplant