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la grande fenêtre qui servait d’entrée ; quoique cette fenêtre montât jusqu’à la corniche du plafond, et occupât tout un côté de l’appartement, la lumière en était affaiblie par le massif encadrement de pierre qui enchâssait les vitres, et par les vitraux coloriés, représentant des écussons, qui occupaient la partie supérieure de la fenêtre. Les rayons, de plus, étaient de ce bois de chêne foncé qui absorbe la lumière ; et la dorure qui devait, dans l’origine, en diminuer l’obscurité, était décolorée par le temps.

Cet appartement était d’une élévation presque disproportionnée. Le plafond, formé par des arceaux entrelacés, d’un dessin compliqué, entremêlés de figures grotesques, richement sculptées, conservait à la pièce le caractère gothique du siècle où elle avait été consacrée à un pieux objet. Deux cheminées avec de grands manteaux en chêne sculpté, surmontés par deux portraits, rompaient la symétrie des grandes rangées de livres. L’une de ces cheminées contenait des bûches à demi consumées ; et, à en juger par un énorme fauteuil, près duquel se trouvait un petit bureau, on eût dit que cette pièce avait été récemment occupée. La muraille située vis à vis de la fenêtre était tendue d’antiques tapisseries décolorées, représentant Salomon recevant la reine de Saba, cette tapisserie était clouée par-dessus la porte, de chaque côté ; de sorte que les feuillures de la porte coupaient d’un côté le sage monarque en deux, au moment où il s’inclinait profondément ; tandis que de l’autre le sol était soustrait sous les pas de la coquette souveraine, au moment où elle descendait de son chariot.

Il y avait, auprès de la fenêtre, un piano à queue, le seul meuble moderne qui se trouvât dans l’appartement, à part l’un des deux portraits que nous décrirons plus tard. Éveline regardait tout ce qui l’environnait, religieusement et en silence. Elle possédait tout naturellement cette vénération pour le génie qu’on est sûr de rencontrer chez les personnes jeunes et enthousiastes ; d’ailleurs il y a même pour les esprits indifférents, un certain intérêt à voir les lieux habités par ceux qui savent faire surgir chez les autres quelque pensée nouvelle. Mais ici surtout, Éveline s’imaginait découvrir une harmonie rare et singulière entre ce lieu et les traits caractéristiques de l’homme de talent qui possédait cette demeure. Elle croyait pouvoir mieux comprendre désormais les pensées empreintes d’un calme vague et métaphysique, qui distinguaient les premiers ouvrages de Maltravers,