Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

somptueux appartement et l’armoire de Boule, et la transportèrent par la pensée au cottage et sur la pelouse. Lorsque l’élégante femme de chambre vint coiffer sa jeune maîtresse, elle la trouva tout en larmes.

Le recteur regrettait vivement qu’on se trouvât à l’époque de l’année où, justement parce que la campagne est dans toute sa splendeur, toutes les personnes de quelque importance sont à Londres. Pourtant quelques commensaux errants venaient de temps à autre passer deux ou trois jours au presbytère, et il y avait aussi quelques nobles familles du voisinage qui n’allaient jamais à Londres. De sorte que, deux fois par semaine, le vin du recteur coulait généreusement, les tables de whist étaient ouvertes, et le piano était mis en réquisition.

Éveline, objet de l’attention et de l’admiration de tous, fut bientôt mise à l’aise par son rang même ; car les bonnes manières viennent instinctivement aux personnes que le monde honore de ses sourires. Par degrés elle acquit l’assurance et le vernis de la société ; et si parfois son enjouement enfantin rompait les barrières conventionnelles, cela ne servait qu’à rendre plus charmante et plus piquante la riche héritière, dont la beauté délicate et féerique s’harmonisait i bien avec le gracieux abandon, et dont la distinction ne pouvait être révoquée en doute par des regards qui tombaient sur les dentelles et les satins de madame Dévy.

Caroline avait perdu, en partie, sa gaîté du cottage. Quelque chose semblait attrister ses pensées ; elle était souvent préoccupée et rêveuse. Elle était la seule de sa famille qui n’eût pas un caractère égal ; et l’aigreur avec laquelle elle répondait à ses parents, lorsque la présence de nul visiteur n’apportait de frein à son humeur, affligeait profondément Éveline, et formait un contraste frappant avec la gaîté et l’amabilité qui la distinguaient, lorsqu’elle trouvait un interlocuteur digne de sa conversation. Pourtant Éveline (qui, lorsqu’elle avait aimé, retirait difficilement son affection) cherchait à s’aveugler sur les petites imperfections de Caroline, et à se persuader que mille bonnes qualités se cachaient sous la surface de son caractère. Son naturel généreux trouvait mainte occasion de se révéler par de riches cadeaux, qu’elle tirait des envois que l’officieux M. Merton lui faisait expédier de Londres, pour égayer la monotonie du presbytère. Caroline ne pouvait refuser ces dons sans affliger sa jeune amie. Elle les acceptait à contre-cœur, car, pour lui