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singulièrement tendre et aimante, elle avait souvent, dans le secret de son cœur, soupiré pour un amour plus ardent que celui dont le caractère réservé de lady Vargrave paraissait susceptible. Il lui semblait qu’à l’affection de celle-ci, malgré sa douceur toujours égale, il manquait quelque chose qu’elle ne pouvait définir. Toute la matinée, elle avait épié ce visage bien-aimé. Elle avait espéré voir ce tendre regard fixé sur elle, entendre cette douce voix s’écrier :

« Je ne puis me séparer de mon enfant ! »

Toutes les riantes images, que lui présentait l’insouciante Caroline, du monde où elle allait entrer, s’étaient évanouies, maintenant qu’approchait l’heure où sa mère allait rester seule. Pourquoi fallait-il qu’elle partît ? Il lui semblait que c’était une inutile cruauté.

Tandis qu’assise ainsi elle méditait, elle ne remarqua pas M. Aubrey qui l’avait vue de loin, et qui, en ce moment, s’acheminait vers elle ; elle ne s’éveilla de ces rêveries auxquelles s’abandonne si volontiers la jeunesse, toujours bercée de rêves et de désirs, que lorsqu’il lui prit la main.

« Des larmes, mon enfant ? dit le pasteur. Ah ! n’en ayez pas de honte, elle vous conviennent à cette heure. Combien vous allez nous faire faute ! et vous-même, vous ne nous oublierez pas ?

— Vous oublier ! Oh ! mon, bien sûr ! Mais pourquoi faut-il que je vous quitte ? Pourquoi ne voulez-vous pas parler à ma mère, la conjurer de me laisser rester ici ? Nous étions si heureux avant l’arrivée de ces étrangers. Nous ne songions pas qu’il existât un autre monde que ce village, et ce monde-là me suffisait, à moi !

— Ma pauvre Éveline, dit M. Aubrey avec douceur, j’ai parlé à votre mère et à mistress Leslie ; elles m’ont confié les raisons qui rendent votre départ nécessaire, et je ne puis que souscrire à leur jugement. Quelques mois encore, et il vous faudra décider si lord Vargrave doit être votre époux. La responsabilité d’agir sur votre résolution effraie votre mère ; et ici, mon enfant, inexpérimentée comme vous l’êtes, et ne voyant presque personne, Comment pouvez-vous connaître votre cœur ?

— Mais, monsieur Aubrey, dit Éveline, avec une inquiétude sérieuse qui domina tout embarras, ai-je le droit de choisir ? Puis-je me montrer ingrate, désobéissante envers la mémoire de celui qui m’a servi de père ? Ne dois-je pas immoler mon bonheur à sa volonté ? Ah ! combien je le ferais volontiers si