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sur son lit de mort : votre mère agenouillée à ses côtés : votre main unie à la mienne : et ces lèvres mourantes dont le dernier souffle était à la fois une bénédiction et un ordre !

— Ah ! cessez, mylord, cessez ! s’écria Éveline en sanglotant.

— Non ; ne m’ordonnez pas de me taire avant que vous ne m’ayez dit que vous serez à moi. Éveline, ma bien-aimée ! Je puis espérer !… Vous ne vous déciderez pas contre moi ?

— Non, dit Éveline, en levant les yeux, et en s’efforçant de retrouver du calme ; je sens trop bien mon devoir ; j’essaierai de m’y conformer. Ne me demandez rien de plus en ce moment : je m’efforcerai de vous répondre plus tard comme vous le désirez. »

Lord Vargrave, décidé à poursuivre jusqu’au bout son avantage, allait répondre, lorsqu’il entendit derrière lui un bruit de pas ; tout troublé, il se retourna vivement, et aperçut une figure vénérable qui s’approchait. L’occasion était perdue : Éveline aussi s’était retournée, et, reconnaissant l’interrupteur, elle s’élança vers lui, en poussant un cri de joie.

Le nouvel arrivant était un homme de plus de soixante-dix ans ; mais sa verte vieillesse était vigoureuse, son pas était alerte, et sur sa figure qui respirait la santé et la bienveillance, le temps avait laissé peu de sillons. Il était vêtu de noir ; et ses cheveux, blancs comme la neige, s’échappaient de dessous un chapeau à larges bords, et retombaient presque sur ses épaules.

Le vieillard sourit en voyant Éveline, et la baisa tendrement au front. Puis il se tourna vers lord Vargrave, qui, reprenant son sang-froid accoutumé, s’avançait à sa rencontre, en lui tendant la main.

« Mon cher monsieur Aubrey, voici une surprise bien agréable. J’avais entendu dire que vous n’étiez pas au presbytère, sans quoi j’eusse été vous voir.

— Mylord, vous me faites beaucoup d’honneur, répondit le pasteur. Pour la première fois depuis trente ans, je me suis, en effet, absenté quelque temps de ma cure ; mais à présent je suis revenu finir mes jours, j’espère, au milieu de mon troupeau.

— Et qu’est-ce donc, demanda Vargrave, si cette question ne vous paraît pas indiscrète, qu’est-ce donc qui vous a imposé cette absence forcée ?