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nouveaux visages vont vous sourire : oserai-je espérer que vous vous souviendrez encore de moi ? »

En disant ces paroles, il essaya de lui prendre la main ; Éveline la lui retira doucement.

« Ah ! mylord, dit-elle à voix très-basse, si le souvenir était tout ce que vous réclamiez de ma part…

— C’est tout ; un souvenir favorable : un souvenir de l’amour passé : un souvenir du lien à venir. »

Éveline frissonna.

« Il vaut mieux vous parler ouvertement, dit-elle ; permettez-moi de faire appel à votre générosité. Je ne suis pas insensible à vos brillantes qualités, à l’honneur d’être l’objet de votre attachement, mais… mais… comme le moment approche où vous réclamerez ma décision, laissez-moi vous dire dès à présent que je ne puis éprouver pour vous ces… ces… sentiments sans lesquels vous ne pourriez désirer notre union… sans lesquels nous serions coupables l’un et l’autre de la consommer. Veuillez m’écouter jusqu’au bout. Le testament de votre trop généreux oncle me cause un amer regret ; ne puis-je vous offrir quelque compensation ? Je renoncerais volontiers à cette fortune qui, de fait, devrait vous appartenir : acceptez-la, et restons simplement amis.

— Cruelle Éveline ! pouvez-vous supposer que c’est votre fortune que je recherche ? C’est vous-même ! Le ciel m’est témoin que si vous n’aviez d’autre dot que votre main et votre cœur, ce serait pour moi un trésor suffisant. Vous croyez ne pouvoir m’aimer. Hélas ! d’une part, la vie retirée que vous menez dans cet obscur village, et de l’autre les occupations nombreuses et croissantes qui m’enchaînent, comme un esclave, à la galère de la politique et du pouvoir, nous ont tenus éloignés l’un de l’autre. Vous ne me connaissez pas. Je courrai volontiers le risque de me faire connaître. Vous consacrer ma vie, vous faire partager mes vues, mon avenir, vous élever au plus haut rang de la noblesse anglaise, transférer mon orgueil de moi-même à vous, vous aimer, vous respecter, voilà quels seront les objets de mon ambition ; et voilà ce qui devra me valoir enfin votre amour. Soyez sans crainte, Éveline ; soyez sans crainte pour votre bonheur ; avec moi, vous ne connaîtrez jamais le chagrin. L’affection chez vous, la splendeur au dehors, vous attendent. J’ai franchi la partie pénible et ardue de ma carrière ; le soleil éclaire le sommet que je vais gravir. Il n’est pas de position en Angleterre trop haute pour